6094-chapitre-1897
Chapitre 1897 – En Haut et En Bas
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Les étages supérieurs de l’ancien château avaient été détruits, ravagés par l’explosion dévastatrice. Les étages inférieurs n’étaient plus qu’un brasier de flammes et de fumée. Une chaleur torride imprégnait l’obscurité suffocante, et les murs brûlants s’effondraient dans les eaux tumultueuses du lac lointain.
Dans cet enfer, quelqu’un toussa de façon rauque, et un tas de débris bougea soudainement. Une femme délicate jeta sur le côté une poutre de soutien fumante pesant plusieurs tonnes et se releva lentement, son beau visage maculé de cendres.
Presque au même moment, une autre silhouette se leva du sol, regardant autour d’elle avec une intensité froide. Il s’agissait d’une jeune femme aux cheveux argentés, portant une armure lustrée gravement endommagée. Dans une main, elle tenait une épée en argent.
Dans l’autre, une torche noire brisée se dissolvait en un tourbillon d’étincelles blanches.
La peau d’ivoire de Neph était aussi immaculée qu’auparavant. Le corps de Voile-Lunaire, en revanche, était couvert d’horribles brûlures. Elle poussa un sifflement douloureux et chancela légèrement, regardant Nephis avec une grimace torturée.
Finalement, ses lèvres s’entrouvrirent.
« …Vous êtes une Façonneuse. »
La voix de Voile-Lunaire était pleine d’un choc à peine contenu. Il était louable qu’elle connaisse le Façonnage et parvienne à le reconnaître — car après tout, il n’y avait plus de véritables praticiens de cette sorcellerie éteinte de nos jours… du moins aucun à la connaissance de Nephis, à part elle-même.
Elle fit un pas dans la direction de Voile-Lunaire, se préparant à lancer une attaque fulgurante.
« À peine. »
Le temps était compté.
Nephis avait en effet invoqué le Vrai Nom du Feu et l’avait transformé en une simple Phrase pour provoquer une puissante explosion. Son propre Aspect ayant été supprimé, elle avait utilisé la torche noire comme source de flamme.
Le résultat avait dépassé ses espérances, mais c’était loin d’être suffisant pour gagner la bataille.
Nephis s’en était sortie presque indemne, car elle était pratiquement immunisée contre tous les types de feu, à l’exception du sien. Les Reflets s’en sortaient relativement bien, eux aussi — ils étaient bien trop puissants pour être détruits par une simple conflagration. Il ne lui restait donc que quelques précieux instants pour s’occuper de Voile-Lunaire.
Voile-Lunaire, quant à elle, avait subi le plus de dégâts.
Non seulement parce qu’elle n’était qu’une Bête Transcendante, mais aussi parce que Nephis brûlait toujours son essence pour canaliser le Vrai Nom de la Destruction. L’invoquer exigeait beaucoup de la part du Façonneur, mais cela en valait la peine pour une tueuse comme elle. L’invocation de la Destruction ne faisait pas jaillir un éclair des cieux pour frapper ses ennemis, et ne les écrasait pas non plus comme une onde de choc.
Au contraire, le résultat de l’invocation de ce Vrai Nom était insidieux et subtil.
Nephis n’avait pas été faussement modeste en répondant à la question de Voile-Lunaire — sa maîtrise du Façonnage était en effet rudimentaire et dépourvue de nuances. Grâce aux leçons d’Ananke et à son Héritage d’Aspect, elle avait découvert un bon nombre de Noms, mais les moyens qu’elle utilisait pour les canaliser étaient grossiers, et ses Phrases étaient primitives.
Pourtant, même sur ses lèvres, le Vrai Nom de la Destruction était un instrument redoutable. Si elle se contentait de le canaliser sans grande précision, ses attaques deviendraient plus destructrices qu’elles n’étaient censées l’être. Si elle l’associait au nom d’un ennemi — et surtout à son Vrai Nom — celui-ci devenait maudit, comme si un maléfice lui avait été jeté.
Chaque coup qu’il recevait était plus profond, et chaque coup qu’il endurait le meurtrissait davantage. C’est pourquoi Voile-Lunaire avait le plus souffert de l’explosion.
C’était comme si le monde lui-même était remodelé pour la détruire.
Tel était le pouvoir du Façonnage — le pouvoir de plier le monde à sa volonté.
C’est peut-être parce que Nephis avait été privée de son Aspect, devenant impuissante pour la première fois depuis de nombreuses années, qu’elle avait vu le Façonnage sous un nouvel angle à ce moment précis.
La volonté…
Alors que Nephis attaquait, une pensée soudaine fit surface dans son esprit.
N’était-ce pas là l’essence même de la Suprématie, imposer sa volonté au monde ? Elle commandait les flammes et avait jeté un sort de destruction sur Voile-Lunaire. Dans les deux cas, elle pliait le monde pour qu’il corresponde à ses désirs. Bien sûr, elle n’y parvenait pas par sa propre volonté — au lieu de cela, elle utilisait la Sorcellerie des Noms comme moyen de transmission.
Mais y avait-il un indice sur le chemin qu’elle devait emprunter pour atteindre la Suprématie dans le pouvoir miraculeux du Façonnage ?
Avant que l’épée de Neph n’atteigne Voile-Lunaire, il y eut un fracas retentissant et l’un des Reflets traversa un mur en flammes, sa lame tranchant le bois adamantin comme du papier.
Nephis avait perdu sa torche, mais le feu les entourait à présent. Elle canalisait toujours son Vrai Nom, aussi exerça-t-elle sa volonté et fit gonfler les flammes brûlantes qui s’abattirent sur la créature, lui barrant la route.
Tenter de vaincre Voile-Lunaire et deux Bêtes Suprêmes n’était pas un pari sûr. Nephis avait donc choisi la stratégie la plus prometteuse — ignorer les Reflets et chercher à tout prix à éliminer le maillon faible, la princesse du Chant.
Elle perdit tout de même un instant de concentration pour bloquer le premier Reflet.
Voile-Lunaire profita de cette fraction de seconde pour brandir sa lame.
Elle était elle-même une épéiste très douée.
L’acier tranchant pénétra profondément dans le flanc de Neph par la brèche dans son armure mutilée, et le sang écarlate coula comme un torrent…
Un humain ordinaire aurait été assommé par la douleur après avoir reçu une blessure aussi horrible. Même un guerrier entraîné et aguerri aurait réagi, en essayant de se sauver ou en reculant. Au minimum, il aurait tressailli.
Mais Nephis ne réagit pas du tout, comme si la douleur n’avait pas d’importance pour elle. Comme si être coupé par une lame tranchante n’était rien.
Pour couronner le tout, elle tourna indifféremment son corps juste un instant avant que la lame n’entaille sa chair — non pas pour l’éviter, mais pour s’assurer qu’elle frappait ses côtes au lieu de plonger dans son abdomen.
De ce fait, son épée laissa une marque sanglante sur le corps de Voile-Lunaire, obligeant la princesse du Chant à reculer d’un bond.
Sans prêter attention à la blessure sanguinolente sur son flanc, Nephis poursuivit son assaut. Son visage était impassible, et ses yeux étaient calmes comme deux lacs profonds.
Pourtant, à l’intérieur, elle regrettait un peu.
Car elle ne pourrait plus profiter de la libération de la douleur. Même si être coupée par une lame tranchante était un tourment léger et maigre, cette blessure n’était qu’une parmi tant d’autres qu’elle devrait recevoir pour gagner.
Tandis que les flammes se propageaient et que Nephis affrontait Voile-Lunaire, étrangement indifférente à l’agonie atroce et au mal fait à son corps, la princesse du Chant semblait de plus en plus troublée.
Elle finit par demander, un sourire curieux tordant ses lèvres pâles :
« Étoile Changeante… quel genre de monstre êtes-vous ? »
Nephis abattit son épée et répondit de son ton habituel et égal :
« Monstre ? »
Son épée siffla alors qu’elle volait dans les airs, manquant le cou de Voile-Lunaire d’un millimètre.
En un seul mouvement fluide et sans faille, elle convertit son coup en une périlleuse poussée.
« Je ne m’en souviens pas. Je ne suis plus un Monstre depuis très, très longtemps… »
***
Loin en contrebas, sur la rive du lac sombre, Saint Rivalen d’Aegis Rose poussa un cri de douleur et dévala les escaliers en pierre, laissant une traînée sanglante dans son sillage. Sa forme Transcendante s’était depuis longtemps effondrée, et il n’était plus qu’un simple humain.
Il lui manquait un œil et son armure d’or était percée en une demi-douzaine d’endroits. Tombant dans l’eau, il poussa un gémissement étouffé et lutta pour se relever.
Ses ennemis ne semblaient pas pressés d’en finir avec lui, et pourtant… sa mort était inévitable.
« Malédiction… »
Seigneur Rivalen vacilla et tomba à genoux, son sang se mêlant à l’eau agitée. Il releva la tête avec une expression résolue.
Une bête géante ressemblant à une panthère gracieuse descendait lentement les marches en pierre. Mais le pire, c’est que…
Deux silhouettes humaines marchaient devant elle, chacune portant de terribles blessures.
Il s’agissait des cadavres de deux paladins de Valor que la fille de Ki Song avait déjà tués, ramenés à un semblant de vie perverse par la méchante reine. Ses anciens pairs, camarades et compagnons.
Seigneur Rivalen serra les dents, sachant qu’il n’y avait pas d’échappatoire.
Il n’avait pas vraiment peur de la mort, tant que c’était pour une noble cause. Mais… devenir l’une de ces choses, être utilisé pour nuire à ses compagnons chevaliers…
Cela lui paraissait trop vil.
Il regarda son reflet ensanglanté dans l’eau et murmura doucement :
« …Je vais devoir m’assurer que mon corps soit entièrement détruit, alors. »
Sa voix était faible, mais pleine de détermination.
Les ennemis se rapprochaient…
Mais avant que Saint Rivalen ne puisse faire quoi que ce soit, il sentit l’eau devenir étrangement chaude autour de lui… brûlante, même.
Puis, soudain, elle se mit à bouillonner et à déferler.
Un instant plus tard, un monstre effroyable surgit du lac, juste derrière lui.
C’était un grand monstre forgé de métal noir, avec quatre longs bras et des flammes infernales brûlant dans ses yeux malveillants. Des rivières d’eau jaillissaient de sa carapace polie et hérissée de pointes, sifflant en s’évaporant et en se transformant en nuages de vapeur.
Surplombant Rivalen agenouillé, le monstre regarda Traqueuse Silencieuse et les deux cadavres Transcendants.
Il ouvrit ensuite sa terrible gueule et cracha une bouchée d’éclats de verre dans le lac.
Saint Rivalen fut momentanément déconcerté.
Quoi ?
Pourquoi l’effroyable créature semblait-elle avoir une expression de mécontentement sur son visage féroce ?
…Et pourquoi avait-elle l’air de mâcher du verre ?