5906-chapitre-1867
Chapitre 1867 – Quid Pro Quo
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Il y eut un silence tendu après la remarque de Morgan. Vestige du Fléau l’étudia attentivement, puis se moqua.
“Vous n’êtes pas sérieuse…”
Le léger sourire de Morgan demeura un instant sur son visage, puis disparut sans laisser de trace. Le soupçon de légèreté disparut également de ses yeux, ne laissant place qu’à une froide intensité. Soudain, la salle tout entière fut noyée dans un sentiment de tranchant sinistre, comme si chaque arête et chaque surface possédait soudain un bord acéré.
Certains membres ordinaires de l’élite gouvernementale pâlirent.
Morgan poussa un profond soupir.
“Pourquoi ne puis-je pas être sérieuse ? Il me semble que c’est vous qui ne comprenez pas la réalité de votre situation, vénérable Saint Cor.”
Elle regarda lentement les visages des hauts administrateurs du gouvernement et dit, sa voix dépourvue de tout amusement :
“La Maison de la Nuit a été consumée par Song. Ses Citadelles sont conquises, ses dirigeants sont morts, et les cadavres de ses Saints sont portés comme des costumes par un monstre dérangé. Voilà ce que le destin réserve à ceux qui espèrent bêtement s’accrocher à un semblant de neutralité dans la guerre qui oppose ma maison à la Reine des Vers.”
Elle sourit sombrement et ajouta d’une voix aussi calme que tranchante :
“Vous vous êtes sûrement déjà posé la question… que va-t-il se passer pour nous maintenant que Ki Song a montré sa volonté de ne reculer devant rien pour gagner cette guerre ? La Maison de la Nuit avait refusé de prendre parti, et à la fin, le choix a été fait pour elle. Pensez-vous vraiment qu’il n’en sera pas de même pour vous ? Qu’est-ce qui vous fait croire que vous ne serez pas les prochains à être éliminés ?”
Vestige du Fléau s’attarda sur la réponse, comme s’il ne savait pas quoi dire. Son expression était sombre.
Morgan secoua la tête avec mépris.
“Ceux qui ne peuvent pas suivre le courant du temps seront noyés par lui. Vous avez déjà un train de retard et vous n’avez déjà plus le choix. Votre neutralité est une chose révolue — présentement, c’est au mieux de l’hypocrisie, au pire de l’incompétence. Les Grands Clans ont peut-être commencé la guerre, mais cela ne signifie pas que les autres peuvent y échapper. Le sort de l’humanité sera décidé par celui qui remportera la victoire à Godgrave, et cela signifie aussi votre sort. En fin de compte, la seule chose que vous puissiez décider, c’est à quel camp vous soumettre.”
Le vieil homme la regarda fixement. Le coin de sa bouche se crispa et il cracha avec colère :
“Et à qui la faute…”
Cependant, une voix calme l’interrompit.
Faucheuse d’Âmes Jet, qui était resté taciturne pendant tout ce temps, prit enfin la parole.
“Ça ne sert à rien d’attribuer des responsabilités, Saint Cor.”
Morgan regarda cette femme à la beauté glaciale.
Jet était froide et posée, avec des yeux d’un bleu glacial et des cheveux courts d’un noir de jais. Sa réputation était plus qu’un peu sinistre, mais elle était aussi formidable. Elle était surtout connue pour sa compétence impitoyable.
Morgan ne connaissait pas bien Faucheuse d’Âmes, mais elles avaient combattu côte à côte lors de la Bataille du Crâne Noir et, plus tard, dans le Désert du Cauchemar. Elle avait une bonne impression de la Sainte du gouvernement.
Jet était… raisonnable.
Comme pour faire écho à ses pensées, la femme glaciale déplaça son regard vers Morgan et dit paresseusement :
“Votre choix de mots est un peu choquant, Dame Morgan. Vous dites que nous devons nous soumettre à quelqu’un… toutefois je préfère voir cela comme devoir soutenir quelqu’un. Cela dit, ce sont les Souverains qui ont besoin de notre force, et non l’inverse.”
Faucheuse d’Âmes sourit froidement et demanda :
“Alors, pourquoi devrions-nous choisir de soutenir Valor plutôt que Song ? Après tout… les chances semblent être contre le Domaine de l’Épée, en ce moment.”
Morgan lui rendit son sourire.
Raisonnable, en effet.
C’était presque comme si Jet s’était attendue à ce que cela arrive. Peut-être que c’était le cas — ce n’était pas difficile de deviner quelle serait la prochaine étape de Valor.
“Parce que Ki Song est une existence abominable — une bête affamée qui n’aurait jamais dû être autorisée à naître. Vous connaissez la nature de son Aspect, et ce que son empire pourrait devenir. Elle se moque de savoir si elle gouverne les vivants ou les morts… alors, lui faites-vous vraiment confiance pour garder l’humanité en vie ?”
Faucheuse d’Âmes Jet la regarda en silence pendant un moment, puis se pencha en arrière et pouffa.
“Quelle ironie de me dire cela, à moi, parmi tout le monde. Merci, Dame Morgan. J’apprécie votre sens de l’humour. Maintenant, pouvons-nous entendre la vraie raison ?”
Morgan sourit.
“C’est agréable d’être appréciée. Bien sûr. Tout d’abord, trois d’entre vous étaient dans un Cauchemar avec la personne qui marche sur Bastion en ce moment même. Vous savez de quoi il est capable, et que les questions de moralité, de compassion ou de décence humaine ne lui pèsent pas. Des millions de personnes vivent à Bastion — je peux défendre le château, mais je ne peux pas protéger la ville seule. Sainte Athena, vous avez passé les quatre dernières années à vivre là-bas. Êtes-vous vraiment disposée à vous asseoir et à ne rien faire alors que cette personne est en liberté dans le Domaine de l’Épée ? Et vous autres ?”
Élevée par les Loups lui jeta un regard noir, mais ne dit rien.
Les chefs du gouvernement étaient également silencieux, l’expression lasse.
Seule Faucheuse d’Âmes ne semblait pas affectée.
“C’est un peu drôle d’entendre un membre du Clan Valor nous faire la leçon sur la moralité et la compassion, mais bon. C’est en effet une raison viable, bien qu’assez faible. Quoi d’autre ?”
Morgan haussa les épaules et regarda Saint Thane, le Marchand de Rêves — le Transcendant flamboyant aux inclinations ambiguës qui était assis à côté du Chancelier, visiblement anxieux.
“Eh bien, le vénérable Saint Thane ici présent nous a aidés à cacher le départ de l’Île d’Ivoire de Bastion. Considérant cela, le Clan Song a peut-être déjà supposé que le gouvernement s’allie au Domaine de l’Épée… qui peut dire s’ils ne sont pas en train de préparer des mesures pour vous punir de cette supercherie en ce moment même ? Puisque vous êtes déjà sous la menace d’être punis pour un crime que vous n’avez pas commis, autant aller de l’avant et le commettre.”
Les yeux de Saint Thane, fortement maquillés, s’écarquillèrent.
“C’est… vous, vous m’avez forcé ! Vous aviez un moyen de pression à cause de la tentative d’assassinat !”
Morgan haussa les épaules avec nonchalance.
“Le fait est que cela s’est produit, et que les sœurs Song sont très vindicatives.”
Épargnant un sourire au Saint indigné, elle reporta son regard sur Faucheuse d’Âmes Jet et ajouta d’un ton sérieux :
“La raison la plus importante, cependant… est que j’ai quelque chose dont vous avez désespérément besoin.”
Faucheuse d’Âmes haussa les sourcils.
“Oh ?”
Morgan acquiesça.
Elle resta silencieuse quelques instants, puis sourit.
“…J’ai les vestiges de la Maison de la Nuit.”
Instantanément, il y eut un silence de mort dans la salle.
L’expression de la jeune femme ne changea pas.
“Ils sont tous sous ma responsabilité, y compris un nombre considérable d’Ascendants. C’est ce qui aurait dû vous faire paniquer avant mon arrivée, plus que toute autre chose. N’avez-vous pas surtout besoin d’eux pour guider les convois navals à travers l’océan ? Sans les Noctambules, l’infrastructure du monde réel subira des dommages irréparables. Et c’est moi qui les contrôle à présent.”
Morgan regarda Faucheuse d’Âmes, puis Saint Cor, et enfin le Chancelier.
“Vu la nature de mon ennemi, ils ne me sont pas d’une grande utilité. Les envoyer combattre cet homme ne fera que le rendre plus fort. Mais… j’ai besoin de puissants guerriers Transcendants pour m’aider à défendre le Domaine de mon père.”
Il y eut un long silence. Morgan resta immobile, le corps détendu. Son expression ne trahissait aucune émotion.
Finalement, le Chancelier poussa un lourd soupir.
“Vu le nombre d’Éveillés emportés par la guerre, la situation dans le monde réel est déjà désastreuse. Quelqu’un doit défendre les centres de population contre l’ouverture des Portes et diriger nos troupes. Alors… trois. Trois des Saints du gouvernement vous apporteront leur soutien, Dame Morgan. Pas plus.”
Elle l’étudia un instant, avant d’acquiescer avec grâce et décence.
“C’est un plaisir de faire affaire avec vous, Chancelier. Le temps presse, alors pardonnez-moi si je ne m’attarde pas pour assister aux formalités. Je vais prendre ces trois Saints sur-le-champ.”
L’homme la fixa d’un air sombre pendant un moment.
“…Tout le plaisir est pour moi, Dame Morgan.”
La neutralité, en effet, était un mythe.
Si elle ne l’avait pas été auparavant, aujourd’hui, elle l’était.