5846-chapitre-1850
Chapitre 1850 – Conseil de Guerre
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Le camp de l’Armée de l’Épée ressemblait à une ville fortifiée, telle une tache sombre sur la surface jaunie par le soleil de l’os blanc, ornée d’une mer de bannières écarlates. La jungle vicieuse avait été repoussée et incinérée il y a quelques jours, et ne s’étendait que timidement à partir des fissures de la titanesque clavicule.
On apercevait ici et là des traînées de mousse rouge qui ressemblaient à des taches de rouille sur l’immense étendue de la plaine osseuse. Le ciel était gris et nuageux, mais baigné d’une lumière aveuglante.
De hauts murs entouraient les avenues tentaculaires du camp de base, et protégés par leur barrière imprenable, d’innombrables baraquements et tentes s’entassaient dans l’espace relativement restreint. Le camp était un chaudron d’activité, des milliers de soldats vaquant à leurs occupations dans une atmosphère tendue.
En regardant la forteresse de l’Armée de l’Épée, il était difficile d’imaginer qu’elle n’existait pas il y a à peine une semaine. Pourtant, c’était vrai — la ville entière avait été construite en quelques jours, et non en plusieurs décennies ou siècles.
Voilà ce dont des centaines de milliers d’Éveillés étaient capables lorsqu’ils étaient rassemblés autour d’un objectif commun.
Parmi eux, nombreux étaient ceux qui possédaient de puissants Aspects utilitaires, auxquels s’ajoutaient ceux qui pouvaient prêter leur force physique et leurs Capacités uniques pour accélérer la construction. Ainsi, la ville avait surgi du sol à une vitesse qui n’avait rien à envier à celle à laquelle la jungle écarlate avait poussé et s’était propagée après avoir été réduite en cendres.
La forteresse tentaculaire comportait deux points de repère imposants. Le premier était l’Île d’Ivoire, qui planait à quelques mètres au-dessus du sol, ancrée à celui-ci par sept chaînes colossales pour rester complètement immobile. La magnifique pagode blanche qui se dressait sur son sol était comme une lueur d’espoir pour les soldats de l’Armée de l’Épée, leur remontant le moral à chaque fois qu’ils l’apercevaient.
L’autre était la sombre faille de la Porte des Rêves, qui avait déchiré le tissu de la réalité à quelques mètres de là. Le Roi des Épées l’avait déplacée de Bastion à Godgrave, annonçant au monde la gravité de son intention de faire payer aux dirigeants du Domaine du Chant leurs transgressions.
En ce moment même, des provisions fraîches arrivaient au camp en provenance du monde réel.
Sunny fronça les sourcils face à cette activité débordante. C’était extrêmement pratique, bien sûr, d’avoir une connexion logistique directe avec le monde réel ici à Godgrave. L’Armée du Chant n’avait pas encore cet avantage, c’est pourquoi elle devait chercher des provisions dans la jungle ou attendre que des convois lourdement gardés les livrent à travers la Plaine de Rive-Lune et le long du bras gauche de la divinité morte.
La route que Rain avait contribué à construire réduisait drastiquement le temps nécessaire à l’arrivée de chaque convoi, certes, mais elle restait un point de vulnérabilité… qu’il exploiterait personnellement dans un futur proche, peut-être, en lançant des raids pour briser les chaînes d’approvisionnement établies par l’Armée du Chant. Cela faisait partie des tâches que le Seigneur des Ombres avait acceptées, après tout.
Néanmoins, il n’aimait pas la présence de la Porte des Rêves ici, à Godgrave. Non pas parce qu’elle était particulièrement inquiétante, mais tout simplement parce qu’elle constituait également un point de vulnérabilité — c’était juste que cette vulnérabilité se trouvait dans le monde réel, et non dans le Royaume des Rêves.
Les serviteurs de la Reine ne pouvaient pas traverser la vaste clavicule du dieu mort, assiéger la forteresse du Roi et détruire les provisions arrivant par la Porte des Rêves. En revanche, ils pouvaient facilement lancer une attaque dévastatrice contre les installations de distribution de Valor dans le monde réel, sans se soucier des dommages collatéraux et de la destruction généralisée qu’un tel assaut entraînerait.
En fait, les deux belligérants s’étaient mis d’accord pour limiter l’effusion de sang au Royaume des Rêves. Personne ne voulait que ses soldats aient peur que leur corps soit détruit pendant qu’ils faisaient la guerre. Et nul ne voulait que leurs familles soient mises en danger pendant qu’ils se trouvaient sur le champ de bataille.
Le gouvernement était censé veiller à ce qu’aucune des parties ne rompe l’accord.
Cependant…
Sunny ne savait pas combien de temps durerait cet accord. Il doutait encore plus que le gouvernement puisse faire quoi que ce soit si le chaos de la Guerre des Domaines s’étendait au monde réel.
Une telle éventualité semblait même inévitable.
Secouant la tête, il détourna le regard de la Porte des Rêves et pressa le pas. Quelle que soit son opinion, il ne pouvait pas être en retard aujourd’hui.
Ça… ne va pas être étrange du tout.
Vêtu de la cape vermillon d’un Chevalier de Valor, il suivait Nephis et Cassie jusqu’au centre du camp. Quelques Gardiens du Feu s’y trouvaient également, vêtus de leurs armures. Tous ceux qu’ils croisaient les saluaient avec admiration et révérence.
Au même moment, Sunny se dirigeait dans la même direction depuis la périphérie du camp, son corps enveloppé dans le métal semblable à de la pierre du Manteau d’Onyx, son visage caché derrière le visage effrayant du Masque de Weaver. Sainte marchait derrière lui, des flammes cramoisies indifférentes brûlant derrière la visière de son casque.
Les regards qui leur étaient lancés étaient pleins de peur et d’appréhension.
Aujourd’hui, Sunny devait assister à un conseil de guerre où seraient décidées les prochaines actions de l’Armée de l’Épée.
…Dans deux incarnations différentes, qui plus est.
Cette perspective lui donna le tournis.
Le Seigneur des Ombres était un choix naturel pour participer à une telle réunion, bien sûr. Son pouvoir et son statut étaient plus que suffisants pour lui valoir une place à la table. Mais c’est par pur hasard que Maître Sunless avait été invité au conseil.
C’était simplement parce que son statut de Chevalier Commandant, aussi faux soit-il, était toujours techniquement réel. Il avait donc été incroyablement surpris de recevoir l’ordre d’assister à la réunion stratégique avec d’autres officiers importants de l’Armée de l’Épée.
C’était à la fois drôle et inquiétant.
À ce rythme, il pourrait bien finir par mener les guerriers de Valor au combat. La probabilité était infiniment faible, mais pas totalement impossible.
Espérons que ça n’arrivera pas. Je ne veux vraiment pas finir en héros du Domaine de l’Épée à cause d’un malentendu ridicule…
C’est alors qu’ils atteignirent enfin la forteresse de pierre qui se tenait au cœur du camp, surplombant toutes les structures à l’exception de la Tour d’Ivoire et de la Porte des Rêves, et ressemblant à un château. C’est dans cette forteresse qu’Anvil de Valor, le Roi des Épées, tenait sa cour.
On aurait pu s’attendre à ce qu’il reste dans le confort de la seule Citadelle que le Domaine de l’Épée possédait à Godgrave, et Nephis avait même été prête à céder à son père adoptif ses quartiers situés au sommet de la Tour d’Ivoire. Mais Anvil avait choisi de résider dans une simple tente pendant la construction du camp, avant de s’installer dans ce donjon de pierre.
Sunny ne pouvait pas se plaindre.
Cela aurait été assez bizarre de voir le père de Neph — même si c’était un faux — vivre sous le même toit qu’eux, surtout qu’ils étaient souvent occupés à…
Ses pensées furent interrompues lorsque son autre avatar arriva devant la forteresse.
Sunny fixa l’énigmatique et indubitablement sinistre silhouette vêtue d’une armure d’onyx, l’air même qui l’entourait étant empreint de froideur et d’arrogance.
Au même moment, Sunny fixa un jeune homme délicat portant une cape vermillon par-dessus un élégant manteau noir, son beau visage criant pratiquement la douceur et le manque de force.
Il resta immobile pendant quelques secondes, puis pensa :
…Idiot égoïste.
Imbécile choyé…