Chapitre 1815 – Échouées

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Le ciel au-dessus de la Plaine de Rive-Lune était gris et hostile. Des gouttes d’eau froide tombaient du firmament, et les vents soufflaient au-dessus de la terre désolée, hurlant en plongeant dans les canyons.

Rain resta assise quelques minutes devant le feu crépitant, le regard sombre. Son corps était meurtri, mais elle n’avait pas de blessures graves. Son esprit était clair.

C’est juste que la situation était quelque peu désastreuse.

Rain soupira lourdement, avant d’inspecter son environnement. Eh bien… il n’y avait pas grand-chose à inspecter. Le terrain vague rocailleux était presque sans relief. Il y avait quelques arbres morts et tordus à une douzaine de mètres. Au-delà, au loin, se dressait une ruine usée par les intempéries… le canyon était de l’autre côté, à un jet de pierre.

Ensuite, elle s’inspecta et grimaça. Rain portait son habituel pantalon en cuir, son henley, son gilet de laine et sa veste. Elle n’allait pas souffrir du froid car son corps était protégé par sa combinaison militaire usée, mais son manteau chaud était encore dans son sac… qui était resté avec l’équipe d’expédition, chargé d’équipement de survie.

La dernière fois qu’elle avait vu son épée, elle empalait l’abominable main sur le sol. Son arc et son carquois se trouvaient quelque part au fond du canyon. Les seules armes qui lui restaient étaient le couteau de chasse dans le fourreau attaché au bas de son dos, et une dague cachée dans sa botte.

Ce n’était pas grand-chose.

Cependant, ce qui préoccupait le plus Rain n’était pas le manque d’armes, mais le manque d’outils simples. La nourriture et l’eau n’étaient pas non plus au rendez-vous…

Heureusement, il y avait une jeune femme issue d’un clan noble. Tamar devait avoir quelques Mémoires utiles dans son arsenal d’âme.

Rain se frotta le visage, puis se leva et se dirigea vers la jeune fille inconsciente. Après l’avoir inspectée attentivement, elle se renfrogna et poussa un juron en serrant les dents.

“Damnation…”

Tamar… n’était pas dans un bon état. Elle n’était pas à l’article de la mort, mais son corps était terriblement amoché. Son visage était meurtri, et à en juger par la légère grimace qui le contorsionnait à chaque respiration, ses côtes l’étaient aussi. L’un de ses bras était gravement blessé — sans le gantelet de son armure enchantée, il aurait été encore plus mutilé.

Le pire, c’est que ses deux jambes semblaient brisées. Elle avait dû être frappée contre la paroi du canyon ou s’était retrouvée coincée entre des rochers, ballottée par le courant. Eh bien… c’était déjà un miracle qu’elles aient réussi à survivre. En fait, Rain aurait dû être plus mal en point que Tamar, qui possédait un corps Éveillé bien plus abîmé.

Son professeur avait dû faire de son sauvetage une priorité.

Rain poussa un profond soupir.

Elle n’aimait pas particulièrement la hautaine Héritière, mais il n’y avait aucune animosité entre elles. La voir dans un tel état rendait Rain déprimée.

Tamar avait choisi d’attraper la main d’œuvre qui tombait au lieu de se sauver elle-même, après tout. Si elle avait été plus égoïste, elle aurait pu éviter d’être blessée.

“Stupide femme…”

Rain fixa la jeune fille inconsciente pendant un moment, se releva et s’éloigna.

Elle revint quelques minutes plus tard, portant quelques branches solides.

Les Éveillés étaient beaucoup plus forts que les personnes ordinaires, et pouvaient se remettre de bien des blessures. Ils guérissaient beaucoup plus vite. Tamar semblait avoir déjà saturé son noyau, et ce, malgré le fait qu’elle ait atteint l’Éveil il y a seulement quelques mois.

C’est l’un des avantages d’être une Héritière, je suppose.

Elle avait dû recevoir une montagne d’éclats d’âme immédiatement après son Éveil. Les clans d’Héritier étaient connus pour apporter beaucoup de soutien à leurs descendants… bon, pas tout à fait à ce point, mais le Clan Sorrow avait sûrement aimé choyer la jeune Tamar.

…Ou alors, ils étaient probablement pressés de la rendre aussi forte que possible avant le début de la guerre.

Cette pensée donna froid dans le dos à Rain.

Quoi qu’il en soit, Rain ne s’inquiétait pas trop pour la jeune fille — elle se rétablirait complètement d’ici peu.

Cependant, il s’agissait du Royaume des Rêves. Elles étaient perdues et loin des autres humains. Leur situation était plutôt précaire.

Enlevant sa veste, Rain hésita quelques instants et dégaina son couteau. Elle coupa son henley puis en arracha les manches avec une expression de regret. Enfin, elle s’assit sur le sol et commença à découper les manches en fines bandes de tissu, dans le but d’en faire des cordes.

Il valait mieux fixer les os de Tamar avant qu’elle ne reprenne conscience.

Une fois les cordes prêtes, Rain remit le couteau dans son fourreau et s’approcha de l’Héritière. Ses cnémides et ses cuissards la gênaient, Rain dut donc les détacher.

Les Mémoires de type armure étaient rarement enfilées et retirées, car les Éveillés pouvaient simplement les invoquer et les rejeter. Cependant, cela ne signifiait pas qu’on ne pouvait pas les enlever normalement. Bien sûr, Rain n’était pas très familière avec la façon dont toutes ces plaques de métal étaient attachées au corps humain et les unes aux autres. Elle tâtonna donc un peu.

Elle était en train d’essayer d’enlever une cnémide lorsque quelque chose changea subtilement dans son environnement. Levant la tête, elle fut un peu surprise de voir que Tamar avait ouvert les yeux et la fixait d’un air hébété.

“…Qu’est-ce que tu fais ?”

La voix de l’Héritière était rauque.

Rain baissa les yeux.

Ah.

Vu d’ici, on aurait pu croire qu’elle essayait de piller la jeune femme à moitié morte pour se procurer une paire de bottes. Une vraie crapule.

Rain sourit d’un air penaud et dit d’un ton amical :

“Ne criez pas.”

Tamar la regarda d’un air confus. Ses yeux s’écarquillèrent aussitôt et elle poussa un gémissement étouffé.

La douleur venait enfin de la rattraper.

“Argh… aaah… bon sang !”

La jeune Héritière s’affaissa sur le sol et serra les dents, sous le coup de la douleur.

Rain, quant à elle, lâcha la cnémide et secoua la tête, dépitée.

Tout ce travail, en vain.

Elle fit un signe de la main pour attirer l’attention de Tamar.

“Dame Tamar. Enlevez votre armure.”

Tamar la regarda en silence pendant quelques instants.

“…Pourquoi ?”

Rain inspira doucement, puis fit de son mieux pour imiter le ton que sa mère utilisait pour lui faire prendre des médicaments :

“Vos jambes sont cassées. Je dois fixer les os… enfin, à moins que vous ne vouliez qu’elles guérissent mal.”

La jeune Héritière serra les dents, redressa son torse et regarda vers le bas. Quelques instants plus tard, elle retomba sur le sol, son visage devenant pâle.

Il y eut un long moment de silence, et enfin, son armure de plaques s’effondra dans un tourbillon d’étincelles, ne laissant derrière elle que la sous-couche de tissu. Tamar ne portait plus qu’une simple chemise blanche et un pantalon, frissonnant légèrement dans le froid.

Rain hésita un peu avant de prendre sa veste et de recouvrir la jeune fille avec. Elle regarda ensuite son visage pâle d’en haut.

“Ça va faire très mal. Vous voulez mordre quelque chose ?”

Tamar secoua lentement la tête.

“Juste, fais-le.”

Eh bien, comme tu veux.

Rain retourna à ses pieds, les souleva doucement, posa ses mains sur ses mollets, et dit avec précaution.

“Écoutez. Je vais compter jusqu’à trois, un…”

Sans rien dire d’autre, elle tira.

Dans l’instant qui suivit, Tamar serra les poings et lâcha un chapelet de jurons. Ou du moins, elle devait penser qu’il s’agissait de jurons. En effet, cette jeune femme convenable n’avait aucune idée de la façon dont on pouvait jurer. C’était un peu adorable.

“Tu… tu as dit que tu compterais jusqu’à trois !”

Rain haussa les épaules nonchalamment.

“J’ai menti.”