Chapitre 1808 – Descendre la Rivière

Traducteur/Checker : Gray

Team : World Novel

Sunny prit la main de Neph pour l’aider à monter dans le bateau, puis le détacha, le poussa loin du poste d’amarrage et sauta agilement à l’intérieur. Ses mouvements étaient si légers que le bateau ne tanguait pas du tout.

Nephis s’assit sur le banc à l’avant, tandis qu’il prit place sur le banc à l’arrière. Ils étaient face à face, avec seulement le panier de pique-nique entre eux.

Il prit les rames et les déplaça doucement, guidant le bateau jusqu’au milieu de la rivière. L’embarcation flottait doucement, coupant l’eau avec un son agréable. Les rues animées de Bastion défilaient devant eux, offrant de nombreuses scènes intéressantes. Plus ils s’éloignaient de la rive, plus le calme régnait, jusqu’à ce que l’agitation de la ville se transforme en un bourdonnement silencieux.

Sunny ne regardait pas autour de lui. Il regardait Nephis, et elle le regardait à son tour.

Tous deux souriaient.

Nephis se pencha sur le côté et plongea une main dans l’eau. Regardant ses doigts couper la surface, elle poussa un profond soupir, puis ferma les yeux un instant. Ses traits se détendirent.

“Comme c’est paisible.”

L’entendre dire cela le rendait heureux.

Sunny avait étendu son sens de l’ombre dans toutes les directions, il savait donc qu’aucune Créature du Cauchemar ne se cachait sous l’eau. Il ne gâcha pas l’ambiance en lui disant d’être prudente. Au contraire, il profita des quelques instants où elle avait les yeux fermés pour la fixer avec une envie non dissimulée.

Il détourna alors les yeux et se concentra sur les rames.

Au bout d’un moment, Nephis le regarda avec un sourire subtil. La ville était derrière eux, il n’y avait plus d’autres embarcations sur la rivière, ni de navires en vue. Les seuls bruits qui rompaient le silence étaient le bruissement de l’eau et les douces éclaboussures produites par les rames.

Elle se pencha un peu en arrière et demanda d’un ton tranquille :

“Vous ne vous fatiguez pas à force de ramer ?”

Sunny gloussa. Il s’agissait manifestement d’une question posée par politesse. Il était censé être un Maître, après tout — guider un petit bateau le long de la rivière ne le fatiguerait pas. Il aurait pu utiliser une force digne d’un Ascendant et faire filer le bateau à grande vitesse pour se fatiguer, mais les rames auraient alors probablement explosé en éclats.

Ce ne serait pas du tout agréable.

“Oh, je n’en ai peut-être pas l’air, mais en fait, je suis assez fort.”

Il lâcha un instant l’une des rames et lui montra sa main.

“Mes mains peuvent écraser des montagnes.”

Nephis rit.

“Je n’en doute pas. Pourtant, je me sens coupable de vous regarder faire tout le travail.”

Sunny resta silencieux un moment. Puis son sourire se fit un peu plus audacieux.

“Pourquoi ne viendriez-vous pas m’aider, alors ?”

Elle le regarda, puis se leva avec un sourire et s’installa sur le banc arrière. Sunny se décala sur le côté pour lui laisser de la place. Quelques instants plus tard, ils étaient assis côte à côte, chacun tenant une rame.

Le banc n’étant pas assez large pour accueillir deux personnes, leurs corps étaient serrés l’un contre l’autre.

La brise fraîche les caressait doucement et le soleil se reflétait magnifiquement à la surface de l’eau. La rivière était paisible et tranquille. Sunny pouvait sentir la chaleur de son corps à travers ses vêtements, et elle pouvait sans aucun doute sentir la sienne.

Il inspira profondément.

Ramer sur un bateau de cette manière était un peu difficile. Les rames devaient bouger simultanément et avec la même force — sinon, le petit bateau tournait vers le rivage ou se mettait à tourner sur lui-même.

Mais Sunny et Nephis se mirent facilement au diapason. Ils étaient parfaitement synchronisés — les rames montaient et descendaient en tandem, et le bateau restait parfaitement droit.

L’embarcation tanguait un peu et, du fait qu’ils étaient si près l’un de l’autre, chacun tenant une rame d’une main, le maintien de l’équilibre était un peu fastidieux.

Sunny déplaça son bras libre et l’enroula autour de la taille de Neph, la maintenant fermement en place. Elle lui jeta un coup d’œil souriant, puis fit de même.

Ils restèrent ainsi silencieux pendant un moment, ramant en harmonie tout en profitant de la brise, du calme de la rivière et de la chaleur de l’autre.

Le silence entre eux n’était ni gênant ni tendu. Au contraire, il était confortable et apaisant, soulageant leurs esprits fatigués.

Au bout d’un moment, Nephis le regarda et lui demanda :

“À quoi pensez-vous ?”

Sunny s’attarda un instant, puis haussa légèrement les épaules.

“Juste… à la vie, je suppose. Comment elle est parfois pleine de chagrin, et parfois pleine de joie.”

Elle étudia attentivement son visage, pour ensuite se retourner et profiter de la vue sur la rivière.

“Intéressant… ma vie est très différente, je crois. Il m’arrive d’être satisfaite, et à d’autres moments, d’éprouver du ressentiment. Mais je ne ressens pas vraiment de joie ou de tristesse. La plupart du temps, je suis juste… concentrée. En fait, je me sens un peu coupable si je suis trop heureuse ou trop triste. J’ai l’impression de m’être laissée distraire.”

Il la regarda avec curiosité.

Nephis était comme ça. Elle vivait au service de son but… ce qui ne voulait pas dire qu’elle était malheureuse. Cela signifiait simplement que son esprit était préoccupé par des questions pratiques, et qu’elle tirait principalement satisfaction et mécontentement des actions entreprises pour réaliser son aspiration.

C’était une façon valable de vivre sa vie. Pourtant… Sunny trouvait qu’elle était trop dure avec elle-même.

Il hésita un instant.

“Vraiment ? Alors, quand avez-vous ressenti de la joie pour la dernière fois ? Et quand avez-vous ressenti de la tristesse pour la dernière fois ?”

Nephis regarda la rivière avec un léger sourire. Elle resta silencieuse un moment, puis répondit d’un ton facile :

“Je ne me souviens plus très bien.”

Sunny continua à la regarder, sans rien dire.

Était-ce parce que ce n’était pas important pour elle, et qu’elle avait oublié ?

Ou bien était-ce parce que ses joies et ses peines étaient toutes liées à lui ?

Il la serra plus fort.

Le sentant, elle se tourna vers lui et lui sourit.

“Et vous ?”

Sunny cligna des yeux plusieurs fois avant de répondre honnêtement :

“Je suis plein de joie en ce moment.”

Entendant Neph rire, il sourit.

“Pour ce qui est de la tristesse… j’ai dû jeter une barquette de fraises à cause du nombre insuffisant de clients au café ces derniers temps. C’était vraiment triste.”

Elle rit un peu plus fort. Cela le rendit heureux, lui aussi.

Au bout d’un moment, Nephis le regarda, s’attarda quelques instants, puis dit d’un ton neutre :

“C’est… une très bonne idée. J’ai un peu d’histoire avec les bateaux, vous savez.”

Sunny le savait, bien sûr. Du bateau qu’elle avait construit à partir des os d’un démon pour traverser la Mer Noire au ketch d’Ananke, tous deux avaient partagé de nombreux moments poignants en se balançant sur l’eau.

Nephis soupira.

“J’ai un jour navigué sur un grand fleuve avec un être cher. Cette personne n’est plus là, mais l’affection demeure.”

Il ne pouvait rien faire d’autre que de la serrer contre lui.

Sunny savait qu’elle parlait d’Ananke. Mais même si elle ne se souvenait pas de lui, ces mots les décrivaient tous les deux.

Regardant devant lui, il sourit et dit :

“Alors, il est bon de se forger de nouveaux souvenirs. Pour s’en remémorer avec tendresse, un jour, dans quelques années.”

Finalement, la plage où il voulait l’emmener apparut.

Alors qu’il se prélassait dans sa chaleur, Sunny regretta un peu que ce soit le cas.