5692-chapitre-1788
Chapitre 1788 – Canyon des Pleurs
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
La vie était faite ainsi.
Vous pouviez entraîner votre corps sans relâche pour en faire un outil tenace et résistant. Vous pouviez pratiquer l’épée et le tir à l’arc jusqu’à ce que vos mains saignent, développer votre sens de l’observation et votre esprit d’analyse, et vous mesurer à d’innombrables adversaires en combat réel pour transformer des connaissances superficielles en une expérience profondément enracinée.
Ou, vous pouvez mourir à cause de la malchance.
Rain s’en voulait de plonger dans un abîme sans fond, entourée d’une avalanche de pierres brisées.
Mais non, ce n’était pas vrai… sa situation actuelle n’était pas due à la malchance. C’était sa faute. C’était elle qui n’avait pas été assez prudente, assez perspicace, assez intelligente. Tous les signes étaient là — les fissures dans la pierre, l’usure des parois du canyon, la puissance dévastatrice des coups du Tyran. Elle aurait dû faire le rapprochement.
Elle aurait dû faire mieux.
Rain ne pouvait donc s’en prendre qu’à elle-même.
Quand même… quand même !
Elle était indignée.
Mourir ainsi, c’était vraiment injuste !
Toutes ces pensées traversèrent son esprit en l’espace d’un instant. Elle se mit alors à serrer les dents et essaya de trouver un moyen de survivre.
Tout d’abord… la chute elle-même ne la tuerait pas tout de suite. Le fond du canyon était loin, et elle pourrait survivre en rebondissant sur ses parois une ou deux fois. La menace la plus pressante était la chute des rochers — ils étaient assez massifs et lourds pour transformer Rain en crêpe, ou du moins lui ouvrir le crâne.
Levant les bras, elle tenta de se protéger la tête. Un instant plus tard, quelque chose frappa ses avant-bras et elle ressentit une vive douleur. Heureusement, le rocher n’était pas assez gros pour l’écraser, et ses os ne furent même pas brisés.
Le suivant, par contre…
En l’apercevant, Rain frissonna.
C’était comme si un mur de roches rugueuses la poursuivait, à deux doigts d’entrer en collision avec son corps fragile. Elle n’avait aucune chance de s’échapper.
Un instant avant qu’elle ne soit écrasée par l’énorme dalle de pierre, quelque chose d’étrange se produisit. Les ténèbres semblèrent l’effleurer, et l’énorme bloc se brisa en mille morceaux.
Au lieu d’être tuée, Rain fut simplement couverte de petits débris.
Professeur…
Son professeur l’aidait rarement directement. Cependant, il semblait ne pas vouloir laisser son élève périr de façon aussi insensée, et il intervint — tout comme il était intervenu pour empêcher les porteurs et les spécialistes des expéditions d’être massacrés par le Tyran.
Je retire toutes les mauvaises paroles que j’ai prononcées à son égard !
Elle n’eut pas le temps de se sentir touchée, mais Rain sentit tout de même une étrange chaleur dans son cœur.
Elle tourna alors la tête pour trouver la seule source de salut qui existait, à part son excentrique compagnon de l’ombre…
Tamar de Sorrow.
L’Héritière pouvait faire deux pas dans les airs, alors si quelqu’un pouvait aider Rain à survivre, c’était bien elle.
Si elle se donnait la peine de perdre son temps pour sauver une simple porteuse, bien sûr. Ce serait bien plus facile, et même plus sûr, de ne se préoccuper que d’elle-même et de laisser Rain mourir.
Où est-elle ?
Tout se passait si vite, mais le temps semblait aussi ralentir. Plongée dans les ténèbres gémissantes, Rain regarda fébrilement autour d’elle et tenta d’apercevoir la jeune Dame Tamar.
Mais elle ne la voyait pas…
Cependant, ce n’était pas parce que Tamar n’était nulle part. C’était plutôt parce que Rain regardait trop loin.
Elle ne s’attendait pas à ce que l’Héritière soit presque sur elle, et ne s’en rendit compte que lorsque quelque chose bloqua sa vision.
Qu’est-ce que…
Rain sursauta alors que quelque chose de dur s’enfonçait dans son abdomen.
“Argh !”
En fait, Tamar avait été plus rapide à réagir. Après avoir retrouvé ses esprits, elle évalua rapidement la situation, localisa Rain, et utilisa le premier de ses deux pas pour arrêter sa chute et s’élancer pour intercepter la porteuse qui tombait à sa place.
Ce qui avait heurté l’abdomen de Rain, lui coupant le souffle, c’était l’épaule de l’Héritière. Tamar étant vêtue d’une armure de plaques, son épaulière d’acier n’était pas tendre du tout.
Saisissant Rain par la taille, elle continua à voler vers la paroi du canyon. Cependant, un autre énorme rocher leur barra la route — sifflant un juron étouffé, Tamar utilisa le deuxième pas pour changer de direction et l’éviter.
À présent, sa Capacité Dormante était épuisée — elle ne pourrait plus l’utiliser avant d’avoir touché une surface solide avec ses pieds.
Elles s’enfoncèrent dans les ténèbres, tombant de plus en plus bas… mais, en même temps, se rapprochant du mur. Tamar protégea Rain des débris qui tombaient et cria :
“…Tiens …bon !”
Un instant plus tard, le corps de Rain fut violemment secoué et s’arrêta.
Ah… merde, ça fait mal…
Elle ouvrit les yeux et essaya d’évaluer la situation.
Les gémissements provenant des profondeurs du canyon étaient absolument assourdissants, ses oreilles bourdonnaient. Elle était entourée de ténèbres — le ciel n’était qu’une étroite ligne de lumière loin, très loin au-dessus.
Tamar était suspendue à la paroi humide du canyon. L’une de ses mains était enfoncée dans une étroite fissure, tandis que l’autre tenait toujours Rain.
Que je sois damnée.
Elles étaient bel et bien en vie.
Enfin… pour l’instant.
Puisque Tamar avait techniquement atterri sur quelque chose, elle pouvait à nouveau activer sa Capacité Dormante. Puis, comme un écureuil, elle pouvait lentement remonter à la surface en portant Rain.
Mais il y avait un gros problème…
Le canyon pleurait.
Ce qui signifiait qu’il allait se transformer en rivière déchaînée d’un moment à l’autre.
Rain ne pouvait pas bien voir dans l’obscurité, mais elle pensait avoir remarqué un regard paniqué dans les yeux de l’Héritière.
C’est alors qu’elles furent enveloppées par le grondement de l’eau.
Un instant plus tard, l’inondation les percuta comme un mur de béton. Rain n’eut même pas le temps de crier.
La main de Tamar fut violemment arrachée de la fissure et elles furent emportées plus profondément dans le canyon.
La dernière chose dont Rain se souvint fut la vision d’une d’une énorme surface de pierre qui s’approchait d’elle à grande vitesse.
***
Elle avait froid.
Et fatiguée.
Tout lui faisait mal, et Rain ne voulait pas se réveiller.
Je vais juste dormir cinq minutes de plus…
Elle risquait d’être en retard en classe… mais elle le pouvait, un peu. Si elle faisait semblant d’être pitoyable, peut-être que maman la laisserait dormir un peu plus.
Seulement… sa mère n’était-elle pas loin ?
Et il n’y avait plus de cours. Au lieu de cela, elle était… elle était…
Ouvrant les yeux, Rain regarda le ciel gris.
Des gouttes d’eau tombaient du ciel, rafraîchissant son visage.
Elle étudia le firmament pendant un moment, puis tressaillit et se redressa.
Elle était allongée sur la terre ferme, entourée par la vaste étendue de la Plaine de Rive-Lune.
Un petit feu crépitait près d’elle, sur lequel son professeur réchauffait ses mains pâles.
La silhouette meurtrie de Tamar de Sorrow était allongée de l’autre côté du feu. Elle semblait mal en point, et toujours inconsciente.
Rain cligna lentement des yeux.
Nous sommes vivantes.
C’était une bonne nouvelle.
La mauvaise nouvelle était qu’elle n’avait aucune idée de la façon dont elles s’étaient échappées du canyon, ni de l’endroit où elles se trouvaient. Elle se souvenait vaguement d’avoir été entourée d’une douce obscurité et d’avoir été emportée par le courant déchaîné, mais ensuite… à un moment donné, elle avait dû s’évanouir.
Difficile de distinguer une partie de la plaine de l’autre, mais Rain ne pensait pas reconnaître les environs. Les membres de l’équipe d’expédition n’étaient pas non plus en vue.
Poussant un profond soupir, elle se tourna vers son professeur et lui demanda d’une voix rauque :
“Que s’est-il passé ?”
Il la regarda et sourit.
“Eh bien… vous êtes tombées dans la rivière et je vous ai repêchées.”
Rain acquiesça lentement.
“Jusqu’où avons-nous été emportés par le courant ?”
Il haussa les épaules.
“Assez loin.”
…C’est acceptable.
Puisqu’elles étaient toutes les deux en vie, la situation pouvait encore être sauvée. Elles pourraient retrouver l’équipe d’expédition… peut-être… et retourner au camp principal de l’équipe routière. Ou se rendre à l’un des camps avancés par leurs propres moyens.
Ou…
Rain regarda son professeur et se força à sourire.
“Professeur… vous êtes si gentil et si puissant ! Ne pouvez-vous pas… vous savez… nous ramener ?”
Il répondit par un sourire.
“Oh… bien sûr, je le peux !”
Cependant, sa voix était un peu sinistre.
“Regarde cette pauvre fille, Tamar… elle est à peine en vie. Ce serait vraiment gentil de ma part de vous ramener toutes les deux, n’est-ce pas ? On pourrait même dire que seul un monstre sans cœur ne le ferait pas. Alors je devrais vraiment… ah, mais je ne le ferai pas.”
Le sourire de Rain devint un peu forcé.
“Quoi ? Vraiment ? Allez… ce ne sera même pas si difficile pour vous…”
Son professeur acquiesça.
“Vraiment ! Si tu veux sortir d’ici vivante… eh bien, que puis-je dire ? Tout ce que tu as à faire, c’est de t’Éveiller. Fais-le, et tout ira bien.”
Sur ces mots, il lui adressa un sourire agréable et disparut dans son ombre. Un instant plus tard, sa voix résonna dans les ténèbres :
“Par ailleurs… ce Seigneur des Ombres, il a l’air de savoir comment s’y prendre. Tu peux lui demander de l’aide !”
Rain fixa son ombre avec incrédulité, avant de prendre une profonde inspiration.
Je retire tout ce que j’ai retiré ! Ce… ce salaud !