Chapitre 92 – La Prière De La Faucheuse

Traducteur : _Snow_

Team : World Novel

Alors que la pointe du stylo à bille d’Elmer touchait le papier qu’il avait posé devant lui sur la table, il s’accorda un moment pour réfléchir à la façon dont il allait s’y prendre pour faciliter la réception de ses travaux.

Certes, il avait beaucoup de papiers pour pouvoir griffonner sans cesse et les jeter au fur et à mesure qu’il commettait des erreurs, mais il voulait minimiser les ressources autant qu’il le pouvait.

Sa vie à Meadbray lui a inculqué la conviction que l’argent n’est pas fait pour être gaspillé inutilement. Là-bas, tout le monde gardait sa pile de pence très près de lui, ne la quittant pas des yeux comme s’il s’agissait d’un nouveau-né.

Hmm… Les yeux d’Elmer se sont levés vers le plafond à rainures et languettes de couleur rouge au-dessus de sa tête, tandis qu’il tripotait sa cigarette entre ses doigts, le mégot gardé près du cendrier métallique à gauche du bureau.

Au bout d’un moment, il pencha légèrement la tête sur le côté, dirigeant son regard vers la lampe à huile translucide éteinte et de taille modeste qui pendait au mur.

« Ça pourrait marcher. » Quelques secondes plus tard, il eut soudain une idée. « Puisque le concept d’utilisation d’un émissaire implique de le convoquer et de le faire venir du plan surnaturel dans le monde des humains, alors que se passerait-il si j’utilisais l’émissaire et que le message voyageait directement à travers le plan surnaturel vers celui qui doit être le destinataire ? »

Elmer marmonnait ses pensées entre deux bouffées de fumée.

« Quelque chose comme la création d’une prière adressée à moi-même en tant que faucheur, de la même manière que l’on prie un Dieu. Hmm… Inutile d’y réfléchir. Essayons de voir si ça marche. J’espère qu’il n’y aura pas de répercussions impliquant la folie ou la corruption. »

« Vu comment s’est déroulée mon ascension à l’Échelon 9, je devrais être capable de survivre à n’importe quelle réaction d’un autre monde si je repousse ma peur et que je me laisse envahir par le surnaturel. En espérant que ce qui s’est passé à l’époque n’était pas un coup de chance. »

Il expira – cette fois-ci de l’air, pas de la fumée – et posa son stylo sur le papier pour commencer à griffonner.

Je convoque l’émissaire que les Cieux m’ont légué, à moi, Elmer Hills. Venez à mon aide et portez mes paroles à qui je juge bon de les recueillir…

La récitation pour convoquer un émissaire qu’il a d’abord écrite pour ne pas s’embrouiller pendant qu’il essayait de l’adapter à l’objectif qu’il voulait atteindre.

« Ah… Maintenant que j’y pense, je n’ai pas encore convoqué mon émissaire. » Elmer gloussa doucement à cette idée. « Je me demande ce qui pourrait venir à ma rencontre. Ce n’est pas comme si j’en avais eu l’utilité, mais je pense que j’essaierai une fois que j’aurai terminé la prière du faucheur. »

Il relut cinq fois la prière qu’il avait écrite, puis tira une nouvelle bouffée de fumée avant de déposer sa cigarette dans le cendrier métallique.

Empêchant la fumée de quitter ses lèvres, Elmer s’appuya sur sa chaise en bois, gonfla ses joues et utilisa sa langue pour former un cercle avec la fumée à l’intérieur de sa bouche.

Au bout d’un certain temps, il posa l’arrière de sa tête sur la simple barre supérieure de sa chaise et expira la fumée qu’il avait gardée captive par intervalles, ce qui fit apparaître trois anneaux blancs au-dessus de sa tête.

Ce n’est que lorsque les anneaux blancs se sont dispersés hors de sa vue qu’il s’est soudain avancé en haussant les sourcils, son cerveau ayant trouvé les changements parfaits à apporter à la prière d’invocation de l’émissaire.

Avec des battements de cœur réguliers, il posa sa plume un peu plus bas sur le papier par rapport aux premiers mots qu’il avait écrits.

Je prie le mystérieux chasseur qui erre dans la nuit. La faucheuse silencieuse au masque pâle. L’Ange de la Nuit. Que l’essence des Cieux soit l’émissaire de mes mots, et les murmure à tes oreilles…

Elmer laissa tomber son stylo dès qu’il eut fini d’écrire, se redressa et fixa les mots qu’il avait écrits d’un regard scrutateur.

Après quelques secondes, il enroula son bras gauche autour de sa cage thoracique et envoya sa main droite embrasser sa mâchoire, tandis que son expression se transformait en une expression pensive.

Il avait l’esprit partagé.

Il était certain d’avoir écrit la meilleure prière possible, mais il n’en était pas moins incertain en raison de l’ambiguïté des mots.

Il n’était pas certain que les mots qu’il avait créés pour se lier à la prière seraient efficaces pour lui et lui seul. Et si quelqu’un dans le monde, quelque part, se faisait également appeler « le faucheur » ou « le mystérieux chasseur qui rôde dans la nuit » ? Le message leur serait également transmis, n’est-ce pas ? En fait, il pourrait même ne pas le recevoir si les choses se passaient ainsi. Le message pourrait se retrouver confus et perdu dans le plan spirituel, ou bien il pourrait tout simplement aller à l’autre individu ayant le même pseudonyme que lui.

Il ne voulait pas que cela se produise.

Elmer grogna tandis que son esprit tournait en rond à la recherche de réponses. Et comme il ne parvenait pas à en trouver une rapidement, il tira une dernière bouffée de sa cigarette avant de l’éteindre complètement dans le cendrier métallique qui se trouvait à côté de la table. Il enleva ensuite ses lunettes et posa la tête sur la table, le visage tourné vers l’extérieur.

 » Mais lorsque Mlle Edna avait envoyé un message à Eddie par l’intermédiaire de son émissaire, elle n’avait prononcé que son nom. Hmph… Peut-être que ça marche parce que c’est un nom lié à l’individu depuis sa naissance. Mes pseudonymes ne sont pas les mêmes, et je ne peux pas ajouter mon vrai nom dans la prière. »

Le fait d’avoir évoqué ces deux-là avait provoqué chez Elmer un léger mal de tête qu’il avait rapidement écarté. Il n’aimait vraiment pas les ramener dans son esprit, car cela ne faisait qu’aggraver ses cauchemars ; à cet égard, il avait l’impression que plus il repoussait ses pensées à leur sujet, plus vite il s’éloignerait de son insomnie chronique.

Si seulement son état ne s’aggravait pas.

Elmer se demandait aussi de temps en temps qui se trouvait actuellement à l’Échelon 10.

Il n’avait vu aucune nouvelle d’un acte en cours, il avait donc soupçonné que c’était quelque chose de privé sous les murs de l’Église, et cela signifiait que les Ascendants qui n’étaient pas licenciés ne pouvaient pas y participer – évidemment.

Cependant, ces pensées n’étaient pas pertinentes, tout comme son hésitation à mettre à l’épreuve sa méthode pour recevoir des emplois. Après tout, un processus ne pouvait être qualifié de succès ou d’échec que s’il avait été testé.

Elmer ferma les yeux un instant, puis ramassa ses lunettes et se redressa brusquement.

Dès qu’il eut recouvré la vue, il se leva de sa chaise et se dirigea vers son armoire. Il ouvrit le plus bas de ses deux tiroirs et sortit quatre bougies grises bénies de l’abondance d’articles qu’il avait achetés au Marché Noir à la mi-décembre.

Comme il savait à quel point les forces de police pouvaient enquêter sur les crimes, il avait utilisé un postiche factice – une moustache très bourrue et une barbe légère – et avait légèrement enroué sa voix avec l’essence de spiritualité grise, pour éviter que le barman à la queue de cheval du pub de l’Orbe du Destin ne le remarque à ce moment-là.

Il ne pouvait pas laisser la police ou le chasseur de primes qui le recherchait l’atteindre, et c’est ce qu’ils feraient s’ils parvenaient à retracer ses mouvements.

Eh bien, vu qu’il continuait à mener sa vie quotidienne sans problème, il semblait avoir parfaitement brouillé les pistes. Il aurait bien aimé utiliser son postiche pour se déplacer à tout moment de la journée, mais comme cela le démangeait beaucoup, il avait décidé de le réserver pour les grandes occasions.

Elmer disposa les bougies grises en forme de diamant en se rappelant le processus utilisé pour invoquer un émissaire. Puis, utilisant l’essence de spiritualité rouge, il les alluma toutes avant de s’asseoir et de prendre une position de prière.

Mais alors qu’il inspirait profondément, se préparant à réciter la prière qu’il avait concoctée, ses yeux se dirigèrent soudain vers la fenêtre de sa chambre, lui révélant la rue rasée par la neige qui séparait sa maison de l’immeuble mitoyen d’en face, et les gens qui s’y déplaçaient vêtus d’habits dignes de la classe ouvrière et des plus modestes.

Il poussa un soupir et se leva une fois de plus pour utiliser les rideaux noirs de la fenêtre afin d’empêcher les regards extérieurs de pénétrer dans sa chambre. Il laissa cependant un petit espace juste au-dessus du rebord de la fenêtre pour ne pas empêcher Mabel de prendre l’air.

Elmer retourna à son bureau de lecture, utilisant les flammes de ses bougies d’autel comme source de lumière, et se laissa tomber sur son siège, reprenant sa position de prière.

Il s’installa à nouveau en position de prière et récita, la gorge nouée,

« Je prie le mystérieux chasseur qui erre dans la nuit. La faucheuse silencieuse au masque pâle. L’Ange de la Nuit. Que l’essence des Cieux serve d’émissaire à mes paroles et les murmure à tes oreilles… »

Il fit une pause d’une seconde avant d’ajouter,

« Tu m’entends ? »