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Chapitre 90 – Kingsley, Le Premier Employeur

 

Traducteur : _Snow_

Team : World Novel

 

Après avoir terminé sa toilette et celle de Mabel, Elmer retourna avec sa sœur dans sa chambre, tous deux vêtus de tenues complètement différentes de celles avec lesquelles ils étaient entrés dans la salle de bains.

Elmer avait jeté la robe lavande de Mabel dans le panier à linge de la salle de bain – avec la serviette qu’il avait utilisée pour nettoyer sa sueur après l’entraînement – et l’avait habillée en retour d’un jupon aux genoux avec de doux motifs de broderie, et de longues chaussettes blanches qui lui montaient au-dessus des cuisses.

Quant à lui, il portait l’essentiel de sa tenue de jour, puisqu’il allait bientôt sortir : un pantalon marron soigneusement repassé, un peu ample, et une chemise blanche boutonnée.

La porte s’étant refermée derrière lui, Elmer conduisit Mabel vers la table de toilette en acajou sculpté – une table peinte en blanc – placée directement à la verticale de la fenêtre de la pièce, et l’assit sur la chaise en bois de satin qui s’y trouvait.

Il prit ensuite ses longs cheveux et les jeta par-dessus la barre supérieure de la chaise, tout en la stabilisant momentanément par son épaule gauche. Tendant la main droite, il ouvrit l’un des tiroirs de droite et saisit une brosse en poils de sanglier, ainsi qu’un récipient de pommade en plastique rouge portant l’inscription « Beauty’s Touch Unisex Pomade ».

Après avoir posé la brosse à cheveux sur les genoux de Mabel, Elmer ouvrit le récipient de pommade et en préleva un peu, qu’il déposa sur sa paume gauche. Il posa ensuite le récipient sur la table de toilette, ainsi que son couvercle, avant d’enduire les cheveux noirs de Mabel de crème et de les caresser doucement.

Comme il n’avait pas grandi dans la connaissance des soins féminins, toutes les actions qu’il faisait avec les cheveux de Mabel étaient dues aux conseils qu’il avait reçus d’une vraie dame. Il s’agissait de la réceptionniste du magasin de cosmétiques où il s’était rendu au début du mois de décembre pour acheter des produits de soin de la peau.

Elle lui avait dit que si la dame était une jeune fille, elle n’avait pas besoin d’être nourrie par la pommade, car ses cheveux étaient encore naturellement brillants.

Mais si cela s’avérait nécessaire, il fallait utiliser un peu de pommade pour masser le cuir chevelu pendant cinq minutes avant toute forme de repos, après s’être assuré que le cuir chevelu et les cheveux étaient exempts de poussière.

La dame lui avait également dit que les cheveux frisaient naturellement si l’on appliquait ces crèmes hydratantes tous les deux ou trois jours, car les cheveux raides frisaient lorsqu’ils étaient soumis à l’humidité. Et comme Elmer aimait les cheveux lisses de sa sœur, il avait décidé de n’appliquer la crème qu’une fois toutes les deux semaines.

Mabel étant jeune, le fait d’étaler les soins capillaires n’entamerait en rien sa beauté. Et même, elle n’avait pas utilisé de tels produits auparavant puisqu’ils vivaient des revenus de la paysannerie. Il venait juste de penser qu’il était de sa responsabilité d’améliorer un peu la vie de sa sœur. C’est pourquoi il avait décidé de dépenser sans compter l’argent qu’il avait.

En calculant combien il avait gagné en ayant effectué seulement quatre missions, il était sur une moyenne de cent mints par employeur.

C’était une très belle somme, même si elle n’était pas à la hauteur de ce que gagnaient les chasseurs de primes. Mais il pensait que c’était dû au type de chasseur qui l’employait.

Son premier travail avait eu lieu à la fin du mois de novembre, et ce n’était qu’une simple coïncidence. Avant cela, il n’avait pas réussi à trouver un moyen de recevoir des demandes, et il n’était connu d’aucune personne.

Alors, tomber sur un homme en sang, la nuit, dans une ruelle de Low street – une rue située à l’opposé de High street, dont il était résident – n’était rien d’autre qu’une rencontre fatidique.

Elmer avait examiné attentivement son environnement, notant qu’il était vraiment vide, puisqu’il restait une heure avant le couvre-feu de l’Empereur. Puis il avait incliné son chapeau plat pour se couvrir le visage de manière significative, avant de se précipiter vers l’homme qui saignait.

Il avait fait le peu de premiers soins qu’il connaissait en utilisant son mouchoir – épais grâce à un morceau de vêtement de l’homme – pour exercer une pression sur le côté poignardé de son abdomen.

Mais tout cela n’était qu’une couverture.

Il avait d’abord diagnostiqué que la blessure n’était pas mortelle, car il avait remarqué que le couteau de l’agresseur était probablement émoussé, puisqu’il avait à peine pénétré l’épiploon et atteint les intestins. Il avait ensuite utilisé l’essence de vitalité pour réduire la blessure de manière significative, juste assez pour que la victime ne soit pas complètement guérie, mais qu’elle ait la vie sauve.

Il avait agi de la sorte afin de brouiller cette partie de lui-même qui aurait des lien avec le surnaturel. Même s’il avait bien réussi à cacher son visage dans l’obscurité de la nuit, il savait trop bien qu’un léger faux pas amènerait la police à sa porte.

Et ça, il ne le voulait pas.

Le seul être qu’il voulait aborder était l’Ascendant qui le recherchait, et il voulait être celui qui aurait l’avantage lorsque cela se produirait.

Ayant terminé ses premiers soins surnaturels, Elmer avait dit à l’homme qu’il allait chercher de l’aide. Puis il avait utilisé sa vitesse accrue, qui avait été extraordinairement augmentée après son ascension dans l’Échelon 9, pour atteindre sa maison en une trentaine de secondes – un endroit qui se trouvait à pas moins de deux cents mètres de là.

Après s’être vêtu d’une tenue absurde composée d’un masque rude, pâle et souriant qu’il avait mis des semaines à fabriquer lui-même pour ses exploits de justicier, et d’un trench-coat noir à col rabattu qu’il avait acheté au Marché Noir, Elmer s’était échappé par sa fenêtre et s’était précipité vers l’homme qui saignait en portant le pseudonyme : La Faucheuse.

La rapidité avec laquelle il avait refait surface sous une autre identité avait permis de masquer à l’homme agressé qu’il était la même personne qu’auparavant.

Et Elmer s’en réjouissait.

Agir en tant que faucheur signifiait qu’il devait faire son travail discrètement afin d’empêcher la police de le rechercher, puisqu’il savait que ses premières missions seraient très probablement prises en charge par la police. C’était avant que l’implication du surnaturel ne soit remarquée, et que son cas ne soit transféré aux chasseurs de primes – probablement celui qui recherchait son personnage d’Elmer Hills.

De retour dans la ruelle, Elmer avait utilisé l’essence grise de la spiritualité pour masquer sa voix comme il l’avait pratiqué.

Il interrogea ensuite l’homme en sang – qui se faisait appeler Kingsley Stone, et qui paniquait à la fois à cause de son sort et du personnage qui se trouvait devant lui – afin de trouver un indice qui lui permettrait de capturer l’auteur du crime.

D’une voix tremblante, Kingsley lui avait alors raconté qu’on lui avait volé son salaire mensuel et qu’on l’avait poignardé alors qu’il tentait de résister. Heureusement, Kingsley avait aperçu les traits de son agresseur, et Elmer a pris ces informations, ainsi que le gros bouton qu’il avait arraché du manteau du voleur dans sa lutte.

Mais avant qu’Elmer ne poursuive son travail, il s’était assuré que Kingsley acceptait de faire connaître son existence sur son lieu de travail, en soulignant, voire en valorisant, l’aide qu’il allait apporter.

Kingsley avait évidemment accepté, et cela avait marqué le premier travail d’Elmer en tant que La Faucheuse, un travail qu’il avait fait gratuitement en guise de reconnaissance.

Il avait utilisé la divination pour déterminer l’emplacement du voleur, et lorsqu’il l’avait confronté, il avait découvert qu’il s’agissait d’un collègue de travail de Kingsley, mais surtout, qu’il était un Ascendant sans licence.

Cela avait rendu la tâche beaucoup plus difficile, même si la conception de son nouveau métier avait été le fruit d’une réflexion sur les personnes ayant une telle vocation.

Pourtant, il avait fait ce qu’il avait à faire. Et bien qu’il ait mis un frein à l’utilisation de ses capacités – ce qui lui avait valu une longue entaille sur l’œil droit de son masque – le combat entre eux deux s’était soldé par la mort de l’assaillant. Il s’agissait d’un homme divorcé d’une trentaine d’années qui cherchait à envoyer un peu d’argent à sa fille pour les festivités.

C’est aussi à la vue du sang de l’homme, dont la tête avait explosé, qu’Elmer s’était calmé grâce à sa capacité auditive, et avait eu l’idée de tendre un piège au chasseur de primes qu’il croyait être à ses trousses.

Il avait utilisé le liquide rouge et dense mélangé à de la moelle osseuse et du jus de cerveau pour écrire un message sur le mur de la maison du voleur assassiné.

Un message qui disait : « La mort ne frappe qu’une fois… »

Et c’est ce qu’il a continué à faire avec les autres travaux qu’il a reçus par la suite.

Le deuxième et le troisième avaient eu lieu au cours des premières semaines de décembre, tous deux impliquant un voleur identique au premier, et pour lesquels il avait reçu une paie de cent mints chacun ; tandis que le quatrième avait été facturé à deux cent cinquante mints pour avoir emprunté une voie très différente de ses autres travaux, et beaucoup plus difficile.

Elmer estimait qu’il lui faudrait encore quelques emplois de l’ordre de vingt environ avant d’atteindre le seuil de revenu moyen lui permettant d’accéder au rang inférieur de la classe moyenne. Mais cela signifiait qu’il devrait quitter le Red-Brick District et rejoindre ses pairs dans les districts qui leur étaient attribués.

Ce qui est impossible, du moins pour lui.

Son travail actuel de faucheur impliquait qu’il soit basé dans un endroit peu ou pas sécurisé afin de pouvoir sortir et entrer à sa guise. Ce n’était pas possible s’il s’installait dans la classe moyenne, où les lieux d’habitation étaient extrêmement sécurisés.

Bien sûr, pour Mabel et sa servante, Mary, cela semblait être la meilleure solution en raison de la protection qu’elles auraient contre de maigres criminels. Mais quelle meilleure protection pour elles qu’un Ascendant de l’Échelon 9 qui de plus était connu sous le nom de faucheur ?

Il était assez doué pour s’attaquer à de minables voleurs et autres.

Oui, il était très bien comme ça.

« Pourtant, ma méthode pour recevoir du travail est inefficace », marmonna Elmer en ramassant la brosse en poils de sanglier qu’il avait laissée sur les genoux de Mabel et en lui brossant les cheveux avec. « Je suis presque sûr que j’ai perdu beaucoup d’employeurs potentiels à cause de ça. Je sais que moi aussi je perdrais l’envie de payer pour quelque chose si je devais quitter ma zone de confort et me rendre dans un trou à rats dans les Backwaters pour cacher ma demande derrière un buisson. » Il expira puis s’autorisa à contempler le bureau devant son mur d’investigation recouvert d’un rideau. « C’est pourquoi je dois trouver une méthode aujourd’hui. »

Ce n’est pas le moment de tergiverser…

Le reste de ses paroles resta dans sa tête, mais elles sonnaient toujours clairement comme s’il les prononçait de vive voix.

Plus j’obtiens de missions, plus je peux laisser d’indices à l’Ascendant qui me poursuit… Et plus vite il les déchiffrera, plus vite je pourrai m’élever… Hmm… Je me demande si je n’ai pas choisi un indice trop difficile à utiliser… Non… Je suis sûr qu’un Ascendant supérieur à l’Échelon 9 peut déchiffrer un tel indice… Même moi, j’ai pu accomplir deux missions tout seul… Et puis, il y a…

Ses pensées s’arrêtèrent, et s’évanouirent instantanément dans l’oubli. Il ne pouvait se résoudre à penser à ces personnes inoubliables qu’il avait assassinées.

À ce moment-là, le tapotement rythmé d’une phalange sur sa porte se déversa dans ses oreilles, le faisant passer de sa droite à sa gauche.

« La soupe de Madame Mabel est prête, Maître Floyd. De même que votre pain grillé et votre bacon. » La voix de Mary Thatcher, à la voix douce, pénétra dans la pièce.

« Je vois. Vous pouvez manger votre part en première », lui répondit Elmer. « J’aurai un peu de retard. »

Le silence régna pendant quelques secondes. « Manger… ma… part… en première… ? » Mary ne savait plus où donner de la tête. C’était la première fois qu’Elmer était occupé après que le repas soit prêt, et donc la première fois qu’il lui disait de manger avant lui. Il comprit parfaitement sa réaction.

« Oui. Mange… ta… part… d’abord… » Elmer imita le mode d’élocution de Mary en ouvrant un autre tiroir et en en sortant un peigne à cheveux en céramique.

« Ah ! Merci, Maître Floyd. Je vais m’y mettre tout de suite. »

Oui, Mary… Oui, tu devrais…

Elmer sourit en déposant les cheveux de Mabel qui étaient restés collés à la brosse dans le peigne, en fermant le couvercle et en le remettant dans le tiroir d’où il l’avait sorti.

Pendant tout ce temps, Marie avait eu son attente habituelle, bien qu’elle soit finalement partie.

Elmer s’occupa ensuite de Mabel en lui frottant les mains avec une lotion à base de vaseline pour la protéger du froid, et en lui poudrant le visage. Ensuite, il l’a prise dans ses bras et l’a ramenée de son côté du lit, celui qui se trouve directement sous le rebord de la fenêtre.

Il s’occupa aussi un peu de lui, utilisant la pommade et un peigne pour se coiffer en faisant une raie sur le côté – sa nouvelle favorite depuis qu’il avait croisé un gentleman raffiné alors qu’il était au marché. Et en toute honnêteté, cela lui donnait une allure extrêmement séduisante, à tel point qu’il se réjouissait de se voir dans le miroir circulaire de la coiffeuse chaque fois qu’il se préparait pendant la journée.

Après avoir terminé de savourer les traits de son visage, Elmer recouvrit le plastique de la pommade et le remit dans son tiroir, avec son peigne et la brosse de Mabel. Puis il se rendit à son armoire, en sortit un gilet de jour marron et une cravate rayée de la même couleur, et les ajouta à sa tenue. Il ne lui restait plus que ses chaussures noires, ses gants de cuir noir et sa blouse d’ouvrier marron pour le moment où il serait prêt à prendre congé – oh, et ses chaussettes qui montaient aux chevilles.

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