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5611-chapitre-89

Chapitre 89 – Floyd Edgar

 

Traducteur : _Snow_

Team : World Novel

 

“98… 99… 100…”

Et avec un soupir, Elmer relâcha sa prise sur la barre de traction fixée au-dessus du cadre de sa porte, ce qui le fit retomber sur le sol avec une technique d’atterrissage très stable, qui impliquait que ses bras soient tendus et que ses orteils soient légèrement recourbés pour initier l’équilibre.

Sur lui se trouvait la partie inférieure de sa tenue d’entraînement, un pantalon léger en coton marron, spécialement conçu pour faciliter les mouvements, la flexibilité et la libre circulation des organes génitaux que tous les hommes possédaient.

Et comme son corps n’était pas complètement couvert, cela permettait de voir les muscles légèrement définis que sa silhouette maigre avait fini par avoir, et qui plus est, maculés d’innombrables larmes de sueur. Ses cheveux bruns hérissés, rendus bizarres par l’indiscernable congestion de blanc qui se logeait à leur sommet, n’étaient pas moins humides.

Maintenant que ses pieds ressentaient la sensation froide de son plancher, Elmer prit un moment pour regarder à quel point ses biceps s’étaient développés par rapport au moment où il avait commencé ses entraînements, il y a deux mois. Et c’était très peu.

Il voulait plus de croissance musculaire.

« Il faut que je prenne bientôt un abonnement à une salle de sport. Les séances d’entraînement à domicile n’améliorent plus beaucoup mon physique, même si le surnaturel augmente ma vitesse d’amélioration. »

La respiration et la voix d’Elmer étaient un peu saccadées, ce qui l’obligea à s’éclaircir la gorge après son discours.

Les effets de l’utilisation de l’essence de couleur grise, qui représentait la dépréciation, pour masquer sa vraie voix prenaient toujours trop de temps à disparaître, même après qu’il ait utilisé l’essence de vitalité pour accélérer le processus.

Il détestait aussi la sensation d’irritation que sa gorge ressentait toujours après avoir dispersé l’essence de spiritualité grise qui tourbillonnait dans son gosier.

Mais il savait qu’il n’avait pas d’autre choix que de s’y fier.

Au moins, il ne prenait jamais trop de temps dans ses exploits, alors il n’allait pas trop loin dans son utilisation. Il ne voulait même pas savoir ce qu’il adviendrait de sa gorge s’il le faisait. Le surnaturel n’est pas une plaisanterie.

Elmer prit une petite serviette de laine sur le porte-manteau en bois à côté de la porte, auquel était accroché un bonnet plat marron, et l’utilisa pour nettoyer la sueur sur ses lunettes et sur son corps. Il se dirigea ensuite vers le bureau de lecture qui se trouvait dans le coin de sa chambre, devant une partie des murs cachée par des rideaux noirs. Une montre à gousset en argent était placée directement en son centre, mais ce n’était pas pour elle qu’Elmer s’était approché du bureau.

Envoyant la serviette à ses cheveux humides depuis son torse légèrement sinueux, où se trouvait à sa gauche le gobelet complexe représentant l’Emblème des Âmes, et à sa droite l’horloge circulaire dentelée représentant l’Emblème du Temps, Elmer fit basculer les rideaux noirs. Ses yeux étroits et fatigués virent alors apparaître un ensemble de papiers jaunâtres – remplis d’indices – collés au mur peint en blanc, et une ligne de fils rouges traversant chacun d’eux comme des rails de chemin de fer entrelacés.

Cela ressemblait à une carte, mais il s’agissait en fait d’une version moins détaillée d’un tableau d’enquête, qu’il avait lui-même conçu.

Elmer retira le papier du milieu portant le nom « Egor Mason » de son mur d’investigation, son esprit repassant les événements de la nuit passée avant de revenir au début de tout cela – comment il en était arrivé à avoir un design aussi inhabituel de papiers et de fils collés sur son mur.

Dès que le matin s’était levé sur le jour tout neuf qui avait suivi ses actes odieux inoubliables contre Eddie et Mlle Edna, Elmer avait quitté l’étage et l’appartement de son défunt propriétaire – où il s’était évanoui lors de son ascension réussie à l’Échelon 9 – et s’était précipité auprès de Mabel après avoir rendu hommage à l’homme qui l’avait aidé à se transformer en Ascendant.

Avec ce qui lui restait des soixante pour cent de salaire qu’il avait reçu de Sir Reginald pour avoir récupéré La Torche Démoniste – qui était encore supérieur à mille mints – il avait pris ses affaires et sa sœur et s’était dirigé discrètement, aussi bien que dans la précipitation, vers les parties supérieures des Backwaters – le Red-Brick District. Un endroit occupé par la classe ouvrière, des gens un peu mieux lotis que les paysans.

Il avait décidé de s’y installer dès qu’il avait reçu le reste de sa paie de Sir Reginald, estimant qu’il n’y avait pas d’endroit meilleur et plus abordable pour lui.

En arrivant à High street dans le Red-Brick District, Elmer avait payé une redevance trimestrielle de deux cent cinquante mints pour une petite maison individuelle d’un étage avec trois chambres – la seule qui était disponible.

Il n’avait pas essayé de louer une chambre dans un appartement parce qu’il voulait garder sa vie privée et que devenir locataire dans un immeuble rempli de gens ne contribuerait guère à cacher son identité, mais au contraire à la révéler de plus en plus au grand public.

Il s’était d’ailleurs créé un nom différent, passant d’Elmer Hills à Floyd Edgar pour chaque achat qu’il faisait en public, tout en étant constamment rempli de tension et de méfiance envers ce qui l’entourait. À l’époque, son regard fuyant n’avait pas caché sa méfiance à l’égard de chaque personne qui lui avait jeté un coup d’œil. Il avait dû confirmer qu’il n’était pas observé, qu’il n’était pas suivi.

Il y avait eu une crainte persistante qu’on le retrouve par la divination lorsque l’Ascendant qui s’était chargé de son cas s’était rendu au domicile de Mlle Edna et avait rencontré Kate.

La jeune femme au nom de famille Smyth l’avait vu, il n’aurait donc pas été difficile d’obtenir d’elle une description.

En fait, vu comment cela s’était passé entre lui et le garçon en salopette, sa description exacte n’était pas nécessaire.

Si l’Ascendant à ses trousses parvenait à mettre la main sur l’une de ses propriétés, peu importait le caractère vague de la description rédigée, il serait retrouvé. Et il avait laissé une propriété chez Mlle Edna la nuit où il avait fait un pas pour devenir un corrompu – son sac de matériel de divination.

Mais c’était aussi le cas du formulaire qu’il avait rempli au bureau de l’Oeil Brillant.

N’importe lequel de ces objets pouvait être utilisé pour la divination.

Mais lorsqu’un demi-mois s’était écoulé et que personne n’était venu lui tendre une embuscade, Elmer s’était rendu compte que l’Ascendant qui s’était chargé de son cas n’avait jamais rendu visite à Kate.

Probablement pour la même raison que celle qui voulait que les fonctionnaires de police de la ville soient tenus à l’écart de tout ce qui touchait au surnaturel, car ils n’avaient pas les capacités de le juguler.

C’était une fille dont la mère avait été assassinée, et l’éclairer sur celui qui avait commis le crime ne ferait que la remplir de pensées de vengeance – ce qui aurait été tout sauf agréable à gérer pour l’Église.

Mais ce n’était pas tout. Il n’était pas nécessaire qu’ils rendent visite à Kate car le bureau détenait également quelque chose avec lequel il était entré en contact. Alors pourquoi sa position n’avait-elle pas été déterminée grâce à cela ?

Était-ce parce qu’ils l’avaient déjà fait et qu’ils gardaient simplement un œil sur lui, ou était-ce parce qu’ils ne pouvaient pas le localiser pour une raison ou une autre ?

Elmer avait dû faire preuve de beaucoup de volonté pour s’éloigner de ces pensées, auxquelles il était impossible de répondre, et se concentrer sur quelque chose d’autre – quelque chose d’aussi important.

Un travail.

Le mois de novembre s’était écoulé rapidement, tout comme son argent. Il savait qu’il ne pouvait pas occuper un emploi public, car cela exposerait son existence au monde entier et, lentement mais sûrement, attirerait sa némésis vers lui, le mettant dans une situation délicate car il ne serait pas préparé à une telle rencontre.

Il n’y avait qu’une seule chose qu’il pouvait faire en plus des petits boulots, et c’était la chasse aux primes.

Cela lui avait pris quelques jours, mais il avait fini par trouver une idée qui, selon lui, lui serait bénéfique à plus d’un titre.

Il se rappelait sa thèse selon laquelle tous les Ascendants n’avaient pas de permis, et que ceux qui n’en avaient pas commettaient des crimes sans avoir quoi que ce soit pour les tenir en laisse.

Et face à cela, il avait décidé de devenir cette laisse en acceptant des petits boulots et en gagnant de l’argent en punissant des Ascendants sans licence – et même des criminels normaux, si la paye était bonne – à la demande de leurs victimes. En même temps, il en profiterait pour tendre un piège au chasseur de primes qui le recherchait.

Il ne comptait pas rester éternellement un Ascendant de l’Échelon 9. L’Ascension était une nécessité puisqu’il avait besoin de la force et des connaissances nécessaires pour pouvoir tenir tête aux Ascendants d’Andhera.

La connaissance était le pouvoir après tout, et le seul moyen qu’il avait d’obtenir plus de connaissances était de s’élever à l’Échelon Supérieur.

Il avait le sentiment qu’une fois parvenu à ce stade, ses paroles seraient prises au sérieux par l’Église. Et même si un dieu ne pouvait pas s’opposer à un autre dieu – donc l’Église ne pourrait pas l’aider à récupérer l’âme de Mabel – il pourrait au moins avoir une chance d’accéder aux secrets les plus profonds du surnaturel.

Certaines informations qui s’y trouvent pourraient certainement l’aider. Quelque chose le ferait.

Il devait donc vaincre le chasseur de primes qui s’était donné pour mission de débarrasser le monde de lui, et s’élever à leur rang, puisqu’ils seraient de toute évidence un Ascendant de rang supérieur au sien.

Mais les prendre de front comme il l’avait fait pour Mlle Edna et Eddie ne donnerait rien de bon puisque son ennemi se distinguerait d’eux en étant en état d’alerte maximale, il devait donc prendre l’avantage d’une manière ou d’une autre. Et c’est ce qu’il fit en les menant tout droit dans un piège, en utilisant le pseudonyme « La Faucheuse ».

« Quatre missions maintenant », marmonna Elmer en serrant le papier dans sa paume et en le jetant avec une précision parfaite dans la poubelle de la maison à côté de son bureau. « J’espère que ce chasseur de primes fera vite le lien, il n’y a pas de temps à perdre. »

Après un soupir d’exaspération, il dirigea son regard vers le lit de taille moyenne, posé sur un cadre en bois de conception simple, à l’autre bout de la pièce.

La lumière du milieu de la matinée – non restreinte par les rideaux noirs écartés – pénétrait par la fenêtre à guillotine creusée dans le mur et mettait Mabel en évidence. Elle était allongée sur le lit, son regard était le même qu’à l’accoutumée, et elle fixait le plafond à rainures et languettes.

Elle était vêtue d’une simple robe de chambre violette, rappelant la fleur de lavande, et autour d’elle, sur les murs, se trouvaient des dizaines de peintures de paysages, représentant des prairies au coucher et au lever du soleil.

L’un d’eux ressemblait même à la prairie de Meadbray, mais Elmer savait que ce n’était pas le cas. Faire appel à un artiste pour peindre spécifiquement cette prairie coûterait très cher, alors il s’est contenté d’un tableau de fortune. Il pourrait payer le vrai tableau plus tard, lorsqu’il aurait plus d’argent.

Après avoir jeté un coup d’œil par la fenêtre de la chambre sur les gens habillés de vêtements adaptés au froid qui traversaient les rues de High street débarrassées de la neige, Elmer retira sa serviette de sa tête et tira sa chaise de bureau vers l’arrière en la tenant par le rail supérieur. Mais juste au moment où il allait s’asseoir, il entendit un coup de poing sur la porte de sa chambre à trois reprises, suivi d’un coup rythmé.

« Maître Floyd, l’eau chaude de Madame Mabel est prête. »

La voix étouffée qui avait pénétré dans sa chambre était d’un ton clair et calme. C’était celle de sa bonne à la voix douce, Mary.

Elmer l’avait employée dans les premiers jours de la troisième semaine de décembre pour qu’elle se charge des maigres tâches d’entretien de sa maison.

Il l’avait fait en gardant à l’esprit qu’après chaque tâche accomplie, il serait épuisé et incapable de s’acquitter lui-même de ces tâches. De plus, si les travaux impliquaient une enquête à mener, il ne pourrait pas s’occuper de Mabel pendant la journée, et il n’était pas question qu’elle saute ses repas plus longtemps. C’était mauvais pour sa santé.

C’est pourquoi il s’était adressé au registre des domestiques le moins connu d’Ur, le Emmy’s Young Servants’ Registry, afin d’éviter à la fois de tomber sur quelqu’un qu’il connaissait – même s’ils étaient peu nombreux – et d’employer une servante qu’il pouvait s’offrir.

Plus le registre était important, plus les frais étaient élevés, et c’est donc au plus petit qu’il s’était adressé.

Il avait fallu quelques heures d’entretiens lorsqu’il s’était rendu au registre des jeunes servantes d’Emmy, mais il était finalement tombé sur Mary Thatcher. Une jeune fille de seize ans aux yeux bleu ciel enfoncés et à la peau rosée, ainsi qu’aux cheveux blonds miel, hirsutes et longs, mais bien tassés dans une queue de cheval.

Elle avait déclaré être originaire de Fishersbay, un village de campagne proche de Burkney, la ville de la Déesse de la Terre

Cette seule déclaration avait valu à Elmer une bonne note par rapport aux autres femmes qu’il avait interrogées. Il pouvait facilement s’identifier à quelqu’un qui avait des origines similaires aux siennes. Sans compter qu’elle ne connaissait que peu de choses sur la ville et le surnaturel puisqu’elle venait d’arriver il y a quelques jours.

Elle lui avait ensuite fait part de son inexpérience dans le domaine de la servitude, puisqu’elle n’avait travaillé qu’avec son père, qui était palefrenier, pour s’occuper des chevaux et de leurs bouses. Mais elle était prête à apprendre, et cela suffisait à Elmer. Enfin, cela et le fait qu’elle savait cuisiner.

Satisfait de Mary, Elmer s’était mis d’accord sur un salaire annuel de cent mints – soit une moyenne d’un mint par semaine, sans compter les indemnités – et il lui offrirait également le gîte et le couvert.

Puis il s’était mis d’accord avec la jeune femme nouvellement arrivée dans la ville, lui avait versé son salaire de cent cinquante mints – cinquante pour avoir utilisé le bureau du directeur du registre pour ses entretiens – et l’avait emmenée chez lui.

Elmer libéra sa chaise de son emprise.

« Merci, Mary », répondit-il à sa bonne qui se trouvait de l’autre côté de la porte de sa chambre, le râle de sa gorge s’étant quelque peu atténué. « J’arrive tout de suite. »

« Quelle soupe dois-je préparer pour Madame Mabel aujourd’hui, Maître ? » demanda Mary dès qu’elle eut répondu à sa première question.

« Hmm… » Elmer prit un moment pour trier les options qu’il avait en tête, et finalement se décida pour celle qui lui semblait la meilleure. « La soupe aux légumes, c’est bien. »

Il avait choisi cette option en raison de la diversité des légumes, du bouillon et des assaisonnements utilisés pour la préparation de la soupe, ce qui la rendait extrêmement nutritive et riche en vitamines et en minéraux. Et comme c’était la période hivernale, il avait besoin que l’immunité de Mabel soit bien renforcée.

« Je vais m’atteler à la tâche. Que voulez-vous pour le petit-déjeuner, Maître ? »

« Quelque chose de léger. Du pain grillé et du bacon devraient nous convenir à tous les deux. Il en reste assez pour deux, n’est-ce pas ? »

« Pour deux… ? » Mary s’est d’abord interrompue, semblant oublier qu’Elmer avait accepté de la nourrir. « Ah… Oui. Oui, nous en avons. Je vais m’y mettre tout de suite. »

« Aussi, écris-moi une liste des choses qui manquent, je les ferai acheter. »

« Oui, je vais l’écrire maintenant. »

Elmer gloussa doucement. « Fais une chose à la fois. Le petit déjeuner d’abord. »

« Oh. Oui. Je vais préparer le petit-déjeuner maintenant. »

Il fallut quelques secondes, le comportement habituel de Mary étant d’attendre un peu au cas où un autre ordre se présenterait, avant qu’Elmer n’entende ses pas s’éloigner discrètement.

Elle avait un don naturel pour la discrétion.

Elmer expira profondément, cacha son mur d’investigation derrière les rideaux chargés de cette mission, et se dirigea vers la double armoire qui se trouvait à côté de son portemanteau, sa serviette usagée à la main.

Il en sortit une chemise blanche pour couvrir le haut de son corps – et les Emblèmes sur sa poitrine – ainsi que de nouvelles tenues pour lui et sa sœur, avant de la prendre dans ses bras et de se diriger vers la salle de bain.

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