5570-chapitre-1717
Chapitre 1717 – Bruissement
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Rain rassembla ses affaires et hissa son sac à dos sur ses épaules. La lame de la hache était terriblement lourde, ce qui troublait un peu son équilibre… mais elle pouvait s’en charger. L’effrayante épée noire que son professeur lui avait donnée avait déjà disparu, et son tachi avait retrouvé son ombre. Elle étudia l’épée familière pendant quelques instants, soupira et la rengaina doucement.
Rain était prête à partir.
…Mais elle ne le fit pas.
« Euh, professeur. Nous avons peut-être un problème. »
Il se tourna vers elle et haussa les sourcils, confus.
« Un problème ? Qu’est-ce qu’il y a ? »
Elle hésita un instant, puis se gratta maladroitement le bout du nez.
« Eh bien, voyez-vous. L’explosion a été beaucoup plus puissante que je ne l’avais prévu. Alors… toute la glace est brisée. Comment suis-je censée regagner le rivage ? »
Il la dévisagea un moment, avant de jeter un coup d’œil sur le paysage ravagé de l’immense marécage.
En effet, la petite île n’était entourée que de boue et d’eau noire, et il n’y avait pas un seul morceau de glace intact en vue. L’étendue mortelle de boue traîtresse s’étendait jusqu’au lointain rivage.
Son professeur s’attarda un peu, soupira et s’approcha d’elle.
Accroupi, il lui montra son dos :
« Grimpe, gamine. »
Rain ne se fit pas prier. Il y avait des façons de traverser un marais, mais aucune qui soit à la fois sûre et opportune. Sans compter qu’elle venait de désinfecter sa blessure et qu’elle ne voulait pas la mouiller et la salir à nouveau.
De plus, son corps meurtri était épuisé. Pourquoi refuserait-elle de se faire porter par une puissante déité ?
Grimpant sur le dos de son professeur, Rain passa ses bras autour de son cou et sourit.
Il la souleva comme une plume, sans montrer le moindre effort malgré la minceur de son corps, et se dirigea vers le marais.
« Ah… quelle humiliation… une ombre divine comme moi réduite à porter des filles mondaines ingrates… les dieux sont vraiment morts… »
Ignorant son grognement, Rain posa sa tête sur son épaule et laissa sa conscience dériver vers un état de relaxation. Le son familier de la voix de son professeur était presque comme une berceuse.
Marchant vers le bord de l’île, il n’essaya même pas de ralentir et s’avança directement dans l’eau boueuse. Cependant, son pied ne s’enfonça jamais dans la boue trouble — au lieu de cela, les ombres se déplacèrent et fusionnèrent pour former une plaque noire luisante sous son pied. Puis, une autre plaque apparut lorsqu’il fit un pas.
Ainsi, son professeur traversa le marais comme s’il marchait sur une route pavée, les plaques noires se dissipant derrière lui au bout de quelques instants. L’eau s’écoulait et déferlait, mais ne parvenait jamais à toucher ses bottes en cuir.
« Huh, ça me rappelle la fois où nous avons combattu les Noyés dans le temple perdu de Grâce Déchue… à l’époque où je portais encore la couronne du Roi-Serpent… qui aurait cru que je deviendrais un jour un pousse-pousse des marais ? Bon sang, la vie est vraiment pleine d’ironie… »
Rain ne savait pas ce que signifiaient les mots Noyé, Grâce Déchue et Roi-Serpent, mais ils semblaient intéressants. Son professeur avait-il été roi, dans les temps anciens ?
…Non, le connaissant, il était plus probable qu’il ait volé la couronne d’un roi et qu’il l’ait portée pour se vanter de ses actes infâmes.
La marche jusqu’au rivage fut à la fois confortable et sans histoire. Rain aurait pu descendre du dos de son professeur une fois qu’ils eurent atteint la terre ferme, mais il continua simplement à la porter sans rien dire, et donc, elle ne dit rien non plus.
Peut-être avait-il vu clair dans sa bravade et s’était-il rendu compte que son état était pire que ce qu’elle laissait paraître, et qu’elle était trop épuisée pour marcher à travers la forêt tout en souffrant de sa blessure.
Pourtant…
Au bout d’un moment, Rain prit la parole :
« Nous devrions descendre les cadavres des Éveillés tombés au combat et leur donner une sépulture. »
D’habitude, c’est la Reine qui aurait pris les morts. Mais le Chasseur avait dû les empêcher de partir en pèlerinage vers son palais, et par conséquent, leurs ossements avaient été laissés à l’abandon.
Son professeur s’arrêta.
Rain ne pouvait pas voir son visage, mais elle sentit un changement subtil dans son humeur. Soudain, les ombres qui peuplaient la forêt gelée semblèrent beaucoup plus profondes, et le monde lui parut beaucoup plus sombre.
Son souffle se transforma en un nuage de vapeur froide.
Est-ce qu’il ne veut pas s’embêter à les enterrer ?
« Descends. »
Il plia les genoux, permettant à Rain de se tenir fermement sur le sol. Elle était un peu confuse.
« Quoi… »
Elle entendit ensuite un bruit. Une branche qui craquait quelque part derrière elle.
Plaçant sa main sur la garde de son épée, Rain se retourna et regarda en arrière.
Là, elle vit plusieurs silhouettes humaines marcher dans leur direction. On aurait dit une cohorte d’Éveillés… non. Un Maître et son groupe, peut-être ? Une, deux, trois personnes… l’une d’entre elles faisait un geste amical de la main…
Avant que Rain ne puisse discerner le moindre détail, quelque chose d’étrange se produisit.
La main de son professeur apparut par derrière et couvrit ses yeux.
Elle se figea.
Q-quoi… quoi…
Quelque chose n’allait pas du tout.
Sa voix était très calme… trop calme, même, ce qui ne fit qu’accroître la nervosité de Rain.
« Hé, gamine. Écoute-moi très attentivement. À partir de maintenant et jusqu’à ce que je te dise le contraire, quoi qu’il arrive, n’ouvre pas les yeux. D’accord ? »
Elle acquiesça lentement.
« Oui, professeur. »
Il resta silencieux un moment.
« Parfait. Reste ici et ne bouge pas. »
Ce disant, son professeur retira sa main. Les yeux de Rain étaient fermés, elle ne voyait donc rien, mais elle sentit qu’il passait devant elle pour se mettre entre elle et les individus qui s’approchaient.
Leurs pas se rapprochaient.
Impossible, impossible ! C’est absolument impossible !
Rain n’était pas stupéfaite par le fait qu’il lui ait caché les yeux. Ce qui la troublait vraiment… c’était le fait que son professeur ne s’était pas retiré dans les ombres.
Depuis qu’elle le connaissait, il ne s’était jamais montré aux autres. Au point que Rain l’avait d’abord considéré comme une hallucination.
Mais aujourd’hui, son professeur se montrait au grand jour, devant des inconnus.
Pourquoi ?
Sa panique silencieuse fut interrompue par la voix lumineuse et insouciante du professeur :
« Bonjour ! Qui êtes-vous ? »
Le bruit des pas s’arrêta, et un baryton profond répondit d’un ton amical :
« Bonjour, bonjour ! Je suis Maître Sean, et voici mes compagnons, Maître Skif et Éveillé Ardon. Nous sommes sur le chemin du retour vers Ravenheart… vous allez aussi dans cette direction ? »
Rain fronça les sourcils.
Maître Sean ? Maître Skif ?
Elle n’avait jamais entendu parler de ces Ascendants. Certes, il y avait des milliers d’Ascendants dans le monde, mais tout de même. Chacun des Maîtres du Domaine du Chant était comme une petite célébrité, surtout ceux de Ravenheart.
Il y avait aussi quelque chose d’étrange chez eux. Elle se tenait là, figée, les yeux fermés… mais ils ne semblaient pas s’en soucier au point de réagir d’une quelconque manière. Ne serait-il pas normal qu’ils lui demandent ce qu’elle faisait ?
Son professeur s’attarda quelques instants.
« Oui, nous sommes également sur le chemin du retour vers Ravenheart. »
Il y eut ensuite un long silence.
Finalement, Maître Sean demanda, sa voix faisant passer un frisson dans l’échine de Rain, pour une raison ou une autre :
« Vous me semblez un peu familier, jeune homme. Nous sommes-nous déjà rencontrés ? »
Le ton de sa voix était parfaitement amical, tout comme ses mots. Mais elle se sentait tout à coup étouffée, comme s’il y avait quelque chose d’étrangement, d’éperdument faux dans tout cela.
La réponse de son professeur fut un peu plus sombre :
« En fait, nous nous sommes déjà rencontrés. Mais je doute que vous vous en souveniez. Quoi qu’il en soit, pourquoi ne pas continuer avec vos amis ? Séparons-nous en bons termes et partons chacun de notre côté. Qu’en dites-vous ? »
Il y eut un autre long silence.
En frissonnant, Rain entendit un étrange bruissement venant de la direction des trois étrangers. Leur environnement devenait lentement plus froid.
Qu’est-ce que ce bruissement ?
« Qu’en dites-vous… qu’en dites-vous. Qu’en qu’en qu’en dites-vous ? »
La voix de Maître Sean semblait encore humaine, mais son discours était devenu étrangement incompréhensible.
Une autre voix se joignit à lui, ses manières et ses intonations étant trop semblables à la première :
« Nous sommes sur le chemin du retour vers Ravenheart. Voici mes compagnons… Maître… nous sommes en route. Qu’en pensez-vous ? »
Rain était toujours bloquée sur sa pensée précédente, incapable de la chasser de sa tête.
Qu’est-ce… qu’est-ce que c’était que ce bruissement ?
Elle n’avait jamais entendu un tel son auparavant.
Juste à ce moment, le bruissement inquiétant s’amplifia, et une troisième voix s’ajouta amicalement :
« Ce sont mes compagnons. »
« Mes compagnons… »
« Mes compagnons. »
Ce bruissement…
« Qu’en… »
« …Et si vous deveniez aussi mes compagnons ? »
Son professeur prit une grande inspiration. Rain pouvait entendre sa voix devenir dangereusement froide :
« Écoute-moi bien, salaud… »
Elle n’avait jamais entendu une telle froideur dans sa voix auparavant, et ce manque de familiarité l’effraya.
« Tu as peut-être réussi à te frayer un chemin hors du Tombeau de l’Effroi, mais moi aussi. Tu as peut-être survécu dans les profondeurs d’un millier d’enfers, mais moi aussi. Alors épargne-moi la théâtralité et poursuis ton chemin. Sinon, je cesserai d’être aimable et je te dépècerai vivant ! »
Rain frissonna.
Dépecer… dépecer…
Soudain, une pensée surgit dans son esprit.
Le Marcheur de Peau !
L’abomination Supérieure qui était le cauchemar de l’humanité depuis quatre ans !
Supérieure… Une abomination Supérieure…
Trois réceptacles de l’indescriptible horreur, rien de moins !
Sa terreur était si grande qu’elle ne pouvait même pas bouger. Tout ce que Rain pouvait faire, c’était garder les yeux fermés et trembler.
Je suis morte, je suis tellement morte…
Non, la mort serait une pitié.
À ce moment, Maître Sean — le réceptacle du Marcheur de Peau — prit la parole avec une pointe de curiosité dans la voix :
« Vous… de qui êtes-vous le compagnon ? »
Son professeur se moqua.
Et le monde trembla.