5569-chapitre-1716
Chapitre 1716 – Grain de Sable
Traducteur/Checker : Gray
Team : World Novel
Au bout d’un moment, Rain se sentit assez reposée pour bouger. Elle se leva du sol avec une grimace et s’occupa de ses blessures.
Son professeur avait fait un feu avec les éclats de l’arbre tordu, si bien qu’aucun d’eux n’avait à se geler dans le froid. Rain désinfecta la coupure sur son flanc, puis l’enveloppa fermement dans un bandage propre. Cela suffirait amplement jusqu’à ce qu’elle retourne à Ravenheart et qu’elle trouve un guérisseur.
D’habitude, elle se serait plainte de la nécessité d’en payer un, mais une récompense importante était promise à quiconque parviendrait à tuer le Chasseur. Non seulement Rain pourrait se payer un guérisseur Éveillé décent, mais il lui resterait assez de pièces pour remplacer le javelot cassé, et peut-être même améliorer quelques pièces de son équipement.
Non, attends… en fait, je n’ai plus besoin de m’inquiéter pour ça ?
Rain avait encore l’espoir de s’Éveiller rapidement. Même si elle n’y parvenait pas avant de retourner à Ravenheart, il n’y aurait plus de chasse dans les prochains mois — elle avait déjà tout ce qu’il fallait pour former un noyau d’âme, alors le meilleur plan d’action serait de se terrer dans un endroit sûr et de travailler patiemment pour devenir une Éveillée.
Une fois qu’elle serait devenue une Éveillée, son équipement ordinaire ne lui serait plus d’une grande utilité. Elle serait capable de bander un arc beaucoup plus puissant, de porter une armure fabriquée à partir de matériaux mystiques beaucoup plus lourds, et même de manier des Mémoires.
Tout son arsenal devrait être modifié. Elle devrait acheter beaucoup de choses.
…Soudain, Rain ne se sentit plus aussi riche.
Elle était si pauvre !
Profondément attristée, Rain enfila son manteau d’hiver et s’approcha de la dépouille du Chasseur. Elle la fixa un moment, pour ensuite jeter un coup d’œil à son professeur.
« Devrions-nous récolter son armure ? Elle devrait se vendre pour beaucoup de pièces. »
Il se gratta l’arrière de la tête.
« Mais qui va la porter jusqu’à Ravenheart ? »
Rain soupira.
Comment une déité peut-elle être aussi inutile ?
« …Ouais. On devrait quand même prendre la lame de la hache, au moins. Pour prouver sa mort à l’hôtel de ville. »
La lame de la hache se vendrait, à elle seule, pour un montant non négligeable.
Elle ramassa la lame géante sur le sol et l’attacha à son sac à dos. Son professeur, quant à lui, regardait les restes de l’épouvantable Chevalier du Calice et claqua des doigts.
Plusieurs ombres surgirent soudain du sol et tranchèrent la carcasse, découpant l’armure rouillée comme du papier.
Rain ne regarda pas les traits bestiaux du cadavre et récolta les éclats d’âme avant de s’asseoir, les fixant solennellement.
Il y en avait trois… les cristaux scintillants n’étaient pas très grands, mais pour elle, ils représentaient le monde entier.
C’est donc ça.
Cela faisait quatre longues années qu’elle s’efforçait désespérément d’atteindre ce moment. Ces années avaient été pleines de douleur et d’épreuves… mais aussi de joie, de satisfaction et d’accomplissement. Et maintenant, le dernier tronçon de la route était juste devant elle.
Son professeur s’assit par terre en face d’elle et lui sourit pour l’encourager.
« Vas-y. Tu as travaillé dur pour en arriver là. »
Rain le regarda, resta silencieuse un instant, puis sourit à son tour.
« En effet. »
Ce disant, elle dégaina son couteau et écrasa les éclats d’âme l’un après l’autre avec son pommeau.
Elle sentit un flot de puissance s’écouler dans son âme.
Et… son âme se mit soudain à déferler.
Rain avait du mal à décrire ce qu’elle ressentait avec des mots. C’était comme si son corps était soudainement imprégné d’une flamme fraîche, vibrante et nourricière, mais cette flamme ne faisait que traverser sa chair, incapable de la toucher.
« Que… que se passe-t-il ? »
Son professeur la regardait avec un vif intérêt. Le regard de ses yeux d’onyx était étrangement intense.
« Je la vois. Ton essence s’Éveille. C’est comme si ton âme, qui avait été faible et somnolente, prenait soudain vie. Un doux rayonnement se répand, et il est intense. »
Il resta silencieux un moment, puis reprit d’un ton apaisant :
« Essaie de la contrôler. Guide-la dans tout ton corps, en suivant la feuille de route de tes principaux vaisseaux sanguins. Ton sang circule grâce à ton cœur… mais tu n’as pas de noyau d’âme, qui est comme un cœur pour l’essence d’âme. Alors, pour l’instant, tu devras le remplacer par ta volonté. »
Rain prit une profonde inspiration et ferma les yeux, imaginant la carte de son corps. Elle sentait son essence s’écouler librement, de façon chaotique, sans aucune forme. Alors, elle étendit lentement sa volonté et essaya de la guider.
Elle n’avait jamais été capable de contrôler son essence auparavant. Elle avait toujours eu l’impression d’essayer de pousser un rocher jusqu’au sommet d’une montagne… le rocher était un poids mort, il était froid et peu enclin à bouger. Dès qu’elle perdait sa concentration, ne serait-ce qu’un peu, le rocher retournait d’où il venait.
Mais cette fois, son essence se sentait vivante et réceptive. Elle suivait ses directives, s’écoulant lentement dans un cycle compliqué. Au début, il y avait beaucoup de chaos et de courants contradictoires dans son flux, mais à mesure que Rain approfondissait sa concentration, le torrent de son essence d’âme devenait de plus en plus stable et ordonné.
Son professeur gloussa d’étonnement.
« Wow, du premier coup ? Tu t’en sors très bien ! »
Rain n’ouvrit pas les yeux.
« Alors… comment former le noyau ? »
Sa voix était calme et assurée, comme une ancre qu’elle pouvait utiliser pour rester stable :
« La méthode est simple. Une fois que tu peux faire circuler l’essence librement, augmente la vitesse. Fais-la se précipiter comme un torrent. Ensuite, augmente encore la vitesse, jusqu’à ce qu’elle tourne à l’intérieur de ton corps comme un tourbillon déchaîné. Condense-la sous la pression de son propre poids et sous l’effet de la rotation. Tu n’as pas besoin de former tout le noyau d’âme d’un seul coup… un grain de sable suffit. La prochaine fois, tu en créeras un autre. Et encore un autre. Tôt ou tard, la densité de ton essence atteindra un point critique, et un noyau d’âme sera formé. »
Rain sourit.
Elle l’imaginait très bien… c’était un processus magnifique. Comme des étoiles et des planètes se formant à partir de poussières d’étoiles incandescentes.
Elle se concentra pleinement, faisant circuler l’essence de plus en plus vite. Plus la vitesse était grande, plus elle avait besoin de volonté pour contrôler la force du tourbillon.
Allez, encore un peu…
Elle sentait une masse d’énergie condensée se former lentement à l’endroit où se trouvait son cœur. Ce n’était pas encore solide, mais ce n’était plus aussi éthéré que l’état habituel de l’essence d’âme. C’était plutôt… un liquide scintillant.
Et au cœur même de cette masse, là où la pression était la plus écrasante, quelque chose de solide était lentement en train de naître.
Une minuscule pierre précieuse cristalline… si petite qu’on ne peut la qualifier que de grain de sable.
« Ah ! »
Rain ouvrit les yeux et trembla, son corps était couvert de sueur. Le tourbillon d’essence se dissipa, et elle s’étala sur le sol, complètement épuisée. Sa poitrine se soulevait et s’abaissait lourdement, comme si elle venait de courir un marathon.
La fatigue mentale était encore pire.
Son professeur leva le poing.
« Bravo ! Tu t’es bien débrouillée ! »
Mais Rain était amèrement déçue.
Un simple grain de sable… est-ce que je me suis vraiment vantée de pouvoir former mon noyau d’âme en un seul essai ? Ah, c’est si embarrassant ! Dieu merci, je ne l’ai pas dit à voix haute !
Combien de temps lui faudra-t-elle pour créer suffisamment de ces minuscules pierres précieuses pour qu’elles fusionnent en un noyau ? Un mois ? Un an ?
Rain avait envie de gémir.
…Mais cela rendrait sans doute son professeur bien trop heureux, elle ne pouvait pas laisser l’ennemi gagner !
Elle soupira, puis se redressa lentement.
Je vais rester à la maison pendant un mois entier, laisser maman me dorloter, et travailler tranquillement sur l’Éveil !
Déçu ? Qui était déçu ? Un mois entier… ou même plusieurs mois… à ne rien faire et à être gâté. Pas de froid mordant, pas de sang et de sueur, pas d’abominations hideuses et de cadavres répugnants. Juste bien manger et méditer en paix. C’était un rêve devenu réalité !
Ne serait-ce pas formidable de se reposer pendant quelques mois en toute sécurité, sans que rien de terrible ne se produise ?
C’est certain !
Son professeur la regarda soudain avec méfiance.
Ses yeux d’onyx se rétrécirent.
« Qu’est-ce que c’est… je sens une perturbation familière. Hé, tu n’as quand même pas pensé à quelque chose de stupide dans ta tête, comme ‘enfin, le pire est passé’ ou ‘ce démon est définitivement mort, rien de mal ne va arriver…’ n’est-ce pas ? »
Rain haussa les sourcils et prit une expression innocente.
« Non ? Pourquoi l’aurais-je fait ? Seul un parfait imbécile penserait une chose pareille au beau milieu du Royaume des Rêves. »
Il l’étudia un instant d’un air dubitatif, et expira lentement.
« Bien… très bien, et, tu sais, n’utilise pas des mots aussi durs. Certaines personnes — très intelligentes ! — sont connues pour avoir fait de petites erreurs de ce genre dans le passé. Quoi qu’il en soit… il est temps de retourner à Ravenheart, alors… »