Chapitre 154 – L’Assassin et l’Héroine s’Affrontent

Debout au milieu du terrain vague, je me trouvais seul face à Epona. La vue était plate dans toutes les directions, ce qui me désavantageait. Nous avions traversé une forêt pour arriver jusqu’ici, ce qui offrait de nombreux endroits où se cacher. Je pouvais m’en accommoder.

“Nous ne voulons pas nous entretuer ici. Fixons quelques règles. Le match durera une minute. Il se terminera dès que l’un de nous se rendra, s’évanouira ou se cassera un membre. Si nous manquons de temps, c’est un match nul,” dis-je.

“Ça me convient. Je me demande si tu peux supporter ce que je fais de mieux pendant une minute ?” répondit Epona.

Me mettre en danger de mort n’était pas le seul risque de combattre Epona – je pouvais aussi perdre Mes Fidèles Chevaliers. C’était à l’origine sa compétence, et elle permettait à son détenteur de prêter ses compétences et une partie de sa force à un maximum de trois personnes. Le problème, était que cette capacité pouvait rendre l’un des chevaliers indigne s’il perdait un duel, ce qui annulait les pouvoirs. Ce serait problématique, et c’est pourquoi j’ai suggéré une limite de temps. Le match se terminerait par une impasse si je survivais une minute, ce qui signifierait que je ne perdrais pas.

Une minute, c’était long face à un adversaire du calibre d’Epona. Il aurait peut-être été préférable d’éviter ce combat, compte tenu des risques, mais le fait d’avoir une idée de notre écart de force actuel en valait la peine.

“Naoise est un imbécile. Il contribuait largement à la paix du monde en te tenant en échec… Mais il s’est mis dans la tête qu’il ne servait à rien et s’est laissé envahir par un complexe d’infériorité,” dis-je.

Epona se serait perdue depuis longtemps sans Naoise. Il avait sans doute rendu d’excellents services pour protéger la paix dans le monde. Il était aussi légitimement fort. Naoise se sentait inférieur à Nevan, Epona et moi, mais il se comparait aux mauvaises personnes.

Naoise était un excellent homme en soi. Il surpassait n’importe quel adversaire dépourvu de capacités surhumaines et nous surpassait même, nous les surhumains, à certains égards. Il était doué pour tout, sans se spécialiser dans un domaine en particulier. J’aurais aimé qu’il comprenne ses points forts et qu’il en soit fier.

“Tu aurais dû le lui dire. Il a toujours indirectement laissé entendre qu’il voulait ta reconnaissance,” répondit Epona.

“…Alors, je le lui dirai la prochaine fois.”

J’ai dégainé mon épée. L’arme était un leurre, j’étais meilleur avec un couteau ou une arme à feu.

Puis je me servis d’un sort que Dia avait mis au point et qui s’appelait Hâte Fulgurante. Celui-ci renforçait le courant électrique à l’intérieur du corps, ce qui augmentait considérablement la vitesse de réaction. Il renforçait également la force physique. La magie était extrêmement puissante, mais elle endommageait le corps et menaçait de me rendre immobile. Même la Récupération Rapide ne pouvait pas suivre. Au mieux, je tiendrais un peu plus d’une minute. La limite de temps de ce combat ne posait pas de problème.

Par la suite, j’ai injecté une drogue dans mon cou. Cette substance améliorait également mes réflexes. Je n’ai jamais pu suivre la vitesse d’Epona, et je n’ai eu d’autre choix que de compter sur mes réactions pour survivre. Cette préparation aurait dû me permettre de suivre ses mouvements.

Et enfin…

“Armure d’Éole.”

…J’ai lancé mon sort préféré. Il me conférait une défense à base de vent qui déviait les attaques et me permettait de libérer de l’air comprimé pour me propulser.

“Es-tu prêt, Lugh ?”

“Quand tu veux. Fais de ton mieux, Héros.”

Je fis signe à Epona de commencer, et elle sourit.

***

Epona fonça vers moi, le sol explosant à ses pieds. Elle se déplaçait sans faire de bruit. Non, c’est faux, elle se déplaçait si vite qu’elle dépassait la vitesse du son. Grâce au courant électrique renforcé de mon corps et à la drogue, je parvins à la suivre, mais de justesse. À défaut de pouvoir faire quoi que ce soit d’autre, j’esquiva en faisant le moins de mouvements possible. Elle me dépassa et, une seconde plus tard, un marteau invisible me fit tomber de mes pieds.

Une attaque sonique… Les ondes de choc martelaient la zone environnante, causées par Epona qui avait franchi le mur du son.

Elle se retourna et chargea à nouveau. Pour me propulser en arrière et esquiver, j’ai retiré un morceau de mon Armure d’Éole, mais j’ai été projeté dans les airs une fois de plus. Je parvins de justesse à atterrir sans encombre, me brisant un os du bras droit.

Je ne peux même pas la toucher. Mais ce n’est pas un problème.

Epona était aussi rapide que dans mes souvenirs. Il y avait assez de distance entre nous pour que je puisse agir. Je n’avais pas le temps de lancer un sort ou d’esquiver d’une manière autre que la plus optimale. En revanche, j’ai eu le temps de dégainer mon pistolet et d’appuyer sur la gâchette.

Les tireurs d’élite pouvaient se positionner, viser et tirer en 0,2 seconde. Et c’est le mieux que j’ai pu faire dans ma vie passée. Maintenant, je pouvais me renforcer avec du mana et accélérer mes réflexes avec de la magie, poussant ma vitesse à 0,1 seconde – plus vite qu’il n’est humainement possible.

Cela devrait être suffisant pour la toucher !

Comme on le faisait pour être sûr d’abattre son adversaire, j’ai tiré trois fois. Mes bras risquaient de se briser malgré le mana qui les renforçait. J’avais conçu le gros calibre du pistolet pour augmenter la force et bourré les balles d’autant de poudre de Pierre de Fahr que possible sans briser l’arme. Les projectiles étaient lancés à une vitesse initiale de 1 020 mètres par seconde, soit environ trois fois la vitesse du son et plus vite qu’un fusil anti-matériel.

Pour construire l’arme, je disposais du meilleur suppresseur possible, mais il n’était pas suffisant pour arrêter complètement le recul. Je devais donc stabiliser l’arme avec mes bras renforcés par le mana pour éviter que la bouche du canon ne vacille, et l’onde de choc me brisa un os du bras gauche.

“Ne te retiens pas, Lugh !”

Epona fonça directement sur les trois balles – chacune ayant une force supérieure à celle d’un fusil antichar – et les écarta d’un coup de tête.

Tu plaisantes…

L’énergie destructrice augmentait au fur et à mesure que deux objets se rapprochaient. Epona fonça vers ces balles à une vitesse supérieure à celle du son, ce qui aurait dû augmenter la force de l’impact. Pourtant, elle était indemne.

Après avoir tiré le reste des balles de mon chargeur, elle les dévia toutes et me donna un coup de poing à l’estomac dès qu’elle fut à bout portant. Aussitôt, j’ai libéré mon Armure d’Éole pour me propulser en arrière et amortir le coup, mais elle était trop rapide. Son poing se planta dans mon ventre. Il y eut un bruit désagréable de craquement, et je fus projeté au loin.

“Hein ? Ça ne ressemble pas à de l’os. Intéressant !”

Epona pencha la tête et rit tandis que je tombais à genoux et crachais du sang. Elle avait cassé l’armature de mon gilet pare-balles. Elle était conçue pour se briser afin d’annuler la force d’un coup excessif. Le gilet était fait d’os de monstres si légers et si résistants qu’ils pouvaient survivre à la charge à pleine vitesse d’un camion de dix tonnes, et Epona l’avait brisé d’un seul coup de poing. Sans elle, j’aurais perdu toutes mes côtes. Je psalmodiai en l’air pour invoquer une nouvelle Armure d’Éole. Epona tendit une main vers moi.

“Boule de Feu.”

Boule de feu était l’un des premiers sorts de feu que l’on apprenait. Il produisait une sphère de flammes de la taille d’un poing lorsqu’il était lancé par un mage ordinaire, mais la version du héros était tout à fait différente.

L’orbe brûlant se transforma en plasma sous l’effet de son immense chaleur et se dirigea vers moi à la vitesse d’un canon laser. Je répondis en tirant de mon Sac en Cuir de Grue une Pierre de Fahr conçue pour produire une explosion directionnelle et en la lançant. La pierre explosa et dispersa des paillettes de mithril en plein vol, détournant le plasma de moi.

Je parvins à me défendre, mais c’était loin d’être l’une des meilleures attaques d’Epona. C’était un sort de débutant. Cela signifiait…

“Boule de Feu.”

…qu’elle pouvait le relancer immédiatement. La nouvelle boule de feu évapora les paillettes et transperça mon corps, déformant sa forme.

Heureusement, ce n’était qu’une illusion que j’avais créée en utilisant un sort de vent pour courber la lumière. Cette magie était normalement inutilisable après la tombée de la nuit à cause du manque de lumière, mais la lueur du plasma la rendait possible. J’avais calculé le meilleur endroit pour répandre les paillettes produites par la Pierre de Fahr afin de disperser le plasma et de permettre mon illusion. La rapidité du héros importait peu si je me cachais hors de sa vue.

Je l’ai eu.

Je n’étais pas assez bête pour dire ça à voix haute. Je me déplaçai silencieusement tout en cachant mon odeur et plantai un couteau dans le cou d’Epona par derrière, aussi fort que possible.

J’ai entendu le bruit sourd d’un os qui se brise – mon poignet. La peau d’Epona était trop dure, renvoyant la totalité de l’impact de mon attaque à pleine puissance dans ma main. Mon bras dominant était désormais inutilisable à cause de cet os et de l’autre os fissuré.

La douleur intense me donnait envie de hurler, mais je n’en avais pas le temps. Epona se retourna avec un coup de revers, que j’esquivai de justesse. Ou du moins, c’est ce que j’ai cru. Le temps que je réalise que le coup avait effleuré ma peau, j’étais déjà projeté en arrière dans les airs, comme si j’étais une balle.

Après avoir parcouru des dizaines de mètres, je me suis retrouvé à terre. J’étais dans un état lamentable. Mes vêtements étaient en lambeaux et ma peau déchirée. Le tournoiement avait détruit mes oreilles internes, et mon sens de l’orientation était complètement perturbé. Je ne pouvais même pas me tenir debout.

Je dois trouver Epona… Attends… Par instinct, j’ai effectué une roulade et un cratère se forma à l’endroit où je me trouvais un instant plus tôt. Epona était descendue du ciel pour me donner un coup de pied. Le sol se brisa, et je fus à nouveau projeté dans les airs.

J’ai enfin retrouvé mon sens de l’orientation. C’est beaucoup trop pour un duel. Elle m’aurait fracassé le visage si ce coup de pied avait fait mouche. Si c’est ainsi qu’elle entendait jouer, je répondrais de la même manière. Heureusement, j’avais été projeté à bonne distance d’elle. Et par miracle ou par chance, elle se tenait sur le point que j’avais désigné pour mon piège.

“Salve de Canons.”

Avant le duel, j’avais choisi la position actuelle d’Epona comme point de chute. En chemin, j’ai utilisé la magie pour produire des canons à partir de mon Sac en Cuir de Grue et je les ai mis en place tout en courant derrière Epona. Je ne pouvais pas la blesser avec des attaques normales, et je n’avais pas le temps de préparer des coups puissants en la combattant. Les pièges, c’était une autre histoire.

Nous avions choisi un terrain vague avec une vue dégagée pour notre duel, mais je n’avais pas l’intention de passer tout le combat sur un terrain désavantageux pour un assassin. Pendant tout le duel, je l’ai attirée vers la forêt, où je pouvais me cacher et poser des pièges.

Les canons tiraient sur Epona de tous les côtés dans un fracas de tonnerre, soulevant un nuage de poussière. Les attaques étaient plus puissantes lorsque la cible avait moins de place pour s’échapper. Epona me frappa de tous les côtés pendant le duel, mais la meilleure façon de s’assurer que toute la force d’une attaque atteigne une cible était de frapper de tous les côtés avec la même force.

La préparation de ce piège fut difficile. Le meilleur emplacement avait été déterminé, mais rien ne garantissait que tout se passerait bien. Je ne disposais que de peu de temps pour l’installer sans qu’Epona s’en rende compte, même avec l’aide de la magie. J’ai fait plusieurs compromis et recalculé, et même si l’endroit choisi n’était pas idéal, le piège était tout de même assez mortel. J’avais attiré Epona à cet endroit en faisant semblant qu’elle me battait.

“Attaquer de tous les côtés avec de multiples coups de canon améliorés pour atteindre la puissance maximale. D’après mes estimations, cela devrait dépasser Gungnir, mais…”

Tout en restant sur mes gardes, je cherchais Epona à l’aide d’un sort de sondage. Il ne m’a pas fallu longtemps pour la trouver. Elle se déplaçait encore.

Bordel, elle charge droit sur moi.

J’ai essayé de réagir, mais mon corps était comme du plomb. Était-ce à cause de mes blessures ? Non, c’était à cause d’Hâte Fulgurante. Une milliseconde de trop dans ce combat pouvait me coûter la vie.

Les ongles d’Epona durcirent et s’aiguisèrent en pointes d’épée, et elle les planta dans ma gorge… Non, elle s’arrêta juste avant.

“Mince, j’étais si près du but. Une seconde de plus et j’aurais gagné.”

“Oui, notre minute est écoulée.”

Epona s’arrêta parce que nous avions atteint la limite de temps.

“Je suis surpris. Cette fois, tu as réussi à garder ton calme jusqu’à la fin,” dis-je.

Elle comptait le temps à la seconde près. Cela aurait été impossible si elle avait perdu la tête.

“J’ai eu de la chance. Ma vision est devenue rouge quand j’ai vu ta Salve de Canons – j’ai compris que ça allait faire mal – mais le fait d’être touché par ces projectiles m’a ramené à la raison… Tu vois, je n’ai pas été blessé si gravement.”

Son bras gauche pendait, cassé. J’avais réussi à blesser le héros… Même si je n’avais pas envie de m’en réjouir, vu qu’il fallait une attaque du niveau de celle de Gungnir pour briser un bras. Epona était plus absurde que je ne le pensais. J’étais prêt à la tuer si nécessaire, mais cela me rappelait que ce serait difficile, même avec mes nouvelles capacités.

Je dirais quand même que ça s’est bien passé. J’ai confirmé la force actuelle d’Epona et je me suis montré à la hauteur sans dévoiler tout mon arsenal, pensai-je. Presque tout ce que j’ai utilisé dans ce match provient de mon combat contre le démon orque. Je n’ai pas révélé de nouvelles astuces, préférant les garder pour les cas d’urgence. Si je n’avais pas été aussi pointilleux, j’aurais fait encore mieux.

“Je suis désolé. Je ne peux pas me retenir quand je me bats contre toi,” m’excusai-je.

“Ne t’inquiète pas. C’est déjà guéri. Merci de t’être donné à fond. Le contraire n’aurait pas été satisfaisant, et je ne me suis jamais aussi bien sentie depuis longtemps.” Epona agita ses bras pour montrer qu’elle allait bien, y compris le gauche, qui avait été cassé il y a quelques instants.

La blessure qui faillit me coûter la vie avait déjà disparu. Même ma compétence de Récupération Rapide ne pouvait pas suivre cette vitesse de guérison absurde. Il me fallut toute mon énergie pour rester debout. Je n’avais pas l’air blessé, mais j’étais épuisé par l’utilisation de la magie et de la drogue. Les lésions nerveuses allaient mettre du temps à guérir.

Je ne pouvais pas esquiver la dernière attaque d’Epona parce que j’avais perdu ma force physique accrue. J’ai dû déployer beaucoup plus d’efforts que prévu, ce qui a réduit de quelques secondes le temps pendant lequel je pouvais maintenir ma force physique… Cette situation ne s’était pas produite pendant mes tests. Apprendre que le combat contre Epona me pousserait à ce point en valait la peine.

“Reprenons le combat un jour. Je veux devenir plus forte. Il le faut.”

“À cause de cette promesse ?”

“Oui. Mais ce n’est pas tout. J’ai une compétence appelée Calcul du Futur, et je ne sais pas pourquoi, mais mon cœur bat au rythme de la peur. C’est un sentiment vague, mais c’est comme un avertissement que j’aurai des problèmes si je reste faible.”

Cela correspondait à la conversation privée entre la déesse et le Marionnettiste que l’Alam Karla avait entendue. En temps normal, le héros combattait plusieurs démons et prenait des forces avant d’affronter le Roi Démon, mais je lui ai enlevé ces opportunités. Lors du combat contre le démon porc – le premier que nous ayons rencontré – Epona a montré qu’elle avait ce qu’il fallait pour être le héros le plus fort de l’histoire, mais elle n’avait pas combattu de démon depuis. Je ne savais pas si elle avait encore ce potentiel.

J’ai besoin de plus d’informations.

La faiblesse d’Epona ne serait pas un problème si nous parvenions à tuer tous les démons et à empêcher la résurrection du Roi Démon. Mais si le Roi Démon revient et que la déesse a raison de dire que seul le héros peut le vaincre… Alors je serais responsable d’avoir mené le monde à l’anéantissement au lieu du salut.

Si c’était le cas, je devrais prendre mes responsabilités. Je devais protéger ce monde.